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Réveil Communiste

"Conduite" : un nouveau film cubain qui dérange

22 Octobre 2014 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Cuba

Sur le blog de Marc Harpon

 

Ernesto Daranas, réalisateur cubain: « Le film « Conduite » reflète le déclin de l’éducation en raison de près d’un quart de siècle de crise économique à Cuba

source : http://www.cubainformacion.tv/index.php/cultura/58439-ernesto-daranas-director-cubano-la-pelicula-conducta-refleja-el-retroceso-de-la-educacion-debido-a-casi-un-cuarto-de-siglo-de-crisis-economica-en-cubaa

traduit de l’espagnol par Maurice Lecomte pour Changement de Société


L’un des films les plus émouvants que nous ayons vu lors du 29ème Festival International de Cinéma à Guadalajara est le cubain Conducta-Conduite, du réalisateur expérimenté, Ernesto Daranas. Le film a été réalisé en paiement d’une dette que Daranas avait vis-à-vis de ses élèves de cinéma. Il n’avait pas été en mesure de leur donner trois semestres et il a décidé de comprimer tout cet enseignement dans une période de tournage, celui de Conduite, conforme à l’esprit d’un professeur qui décide sauver les valeurs morales de l’un de ses élèves bien que tous conspirent autour de lui (sans le vouloir expressément) à le maintenir dans les ruines où il survit : personne ne sait qui est son père, sa mères est alcoolique et toxicomane, et il vit dans la vieille Havane, un lieu où les fissures des murs reflètent celles de ses habitants. 

Rien dans Conduite n’est traité avec pitié ou de manière misérabiliste. Les valeurs humaines transcendent les circonstances. Chala est un enfant magnifique, plein de vie et des solutions plein la tête, avec l’amour et la grande loyauté de sa mère et de son professeur, qui le garde comme si c’était un ange.

Interview: Alfonso Flores-Durón (@SirPon)

Cameraman: Alfonso Flores-Durón

Éditeur: Alberto Fernández (@BetoLovesClash)

Entretien avec Ernesto Daranas, réalisateur de TV et de Cinéma

Paquita Armas Fonseca – TV Cubana. –

Ce réalisateur, Ernesto Daranas, un excellent scénariste de la radio, a suivi le même chemin à la télévision et en est venu, logiquement, à diriger. Ainsi, c’est le documentaire Les derniers joueurs de cornemuse de La Havane, (2004) qu’il a codirigé avec Natacha Vázquez ayant reçu plus de dix prix dont celui ibéro-américain de Journalisme Roi d’Espagne 2004. Dans la fiction il a été l’artisan du télé-drame La vie en rose (2005) qui a balayé les festivals de télévision et en 2008, il a débuté son premier long métrage, Les dieux brisés qui en plus du Prix de la popularité du festival de cinéma de La Havane a obtenu d’autres lauriers.


Et je suis sûre que Daranas n’aimera pas ces mots d’entame: comme tout artiste qui se respecte, il ne travaille pas pour des prix mais pour broder avec des images et des sons des histoires qui l’émeuvent aux fins d’atteindre [le spectateur], les téléspectateurs.


Ainsi la germination de l’idée du film Conduite donnera beaucoup à parler, surtout entre maîtres enseignants et toutes les personnes préoccupées – et occupées – dans la formation des enfants, petits garçons et filles. Mais pour l’heure, Daranas m’a accordé sa première interview enregistrée et vous, lecteur ou lectrice, connaîtrez par sa voix le pourquoi de la « conduite » de cet homme de radio, de télévision, de cinéma et … surtout un être humain extraordinaire.

Comment es-tu arrivé à ce sujet ?

Nous avons conçu ce projet comme un film – un atelier pour un groupe d’étudiants de la Faculté des Médias Audiovisuels de l’ISA. Ils ont une part active dans le travail, le choix du thème, l’enquête parallèle pour le script, et la sélection des enfants du film. Conduite est le résultat du travail effectué, articulé sur un ensemble de préoccupations personnelles.

Quel genre de préoccupations?


Après un quart de siècle de crise, les changements qui ont lieu finalement dans notre société et l’économie n’ont pas obtenu l’impact attendu dans nos secteurs les plus humbles. Ce que nous avons vu, c’est qu’à tous les niveaux, il est possible de parler d’une crise des valeurs, sans que ses causes ne soient abordées au fond. Les enfants sont le grand blanc de ces problèmes.

Sans trop en dévoiler, quelle est l’histoire?

Fondamentalement, la relation entre Chala, un enfant dans un environnement marginal, et Carmela, son enseignante vétérane, de la classe de sixième.

Comment s’est passé le processus de sélection des enfants dans le film?

Nous avons commencé par un casting de masse qui nous a amené des milliers d’enfants, la plupart conduits par leurs parents. Cela nous a servi à comprendre que les garçons que nous cherchions n’allaient pas nous arriver par cette voie. C’est alors que les sept étudiants de la FAMCA (Facultad de Arte de los Medios de Comunicación Audiovisual) ont commencé le vrai casting de Conduite en parcourant, une par une, les primaires et secondaires de Cerro, du Centre la Havane et de la Vieille Havane. Nous avons ainsi réussi à former un excellent groupe de garçons, certains avec des problématiques très similaires à celles que nous voulions aborder, lesquels ont fait beaucoup d’apports à l’histoire. Mariela López, notre directrice de casting, a été très importante dans ce processus.

Pourquoi as-tu pensé à Mariela ?

D’une part, son expérience de travail avec les enfants, et d’autre part, la grande rigueur qu’elle met dans tout ce qu’elle assume. Le défi consistait en ce que ces enfants préservent leur vérité, pour le temps qu’ils devraient prendre pour assumer quelque chose d’aussi exténuant que le tournage d’un film.


Comment avez-vous géré ça?

Nous avons organisé un atelier où nous avons travaillé avec beaucoup d’improvisations et écrit des scènes qui ne sont pas dans le film, mais qui leur ont permis d’entrer dans le monde intérieur des personnages. Tant que cela ne fut pas obtenu nous n’avons pas commencé à travailler avec le véritable scénario, prenant toujours soin de ne pas contester les interprétations des enfants qui sont arrivés frais pour la prise de vue. Parallèlement à cela, et selon le caractère, ils ont reçu une formation de danse, de boxe, de natation et même d’élevage/dressage d’animaux.

Et comment ont-ils réagi devant tant d’exigences?

Avec enthousiasme. Ils ont fait front à ces nouvelles choses, ont senti que leur avis comptait et ont trouvé un espace de respect. Certains provenaient d’environnements familiaux complexes et dans tous ces cas des progrès importants ont été réalisés. Geraldine León et Indira Magaz, nos assistantes, ont aussi joué un grand rôle dans cela qui s’est avéré décisif, plus tard durant le tournage.

Et que s’est-il passé lorsque ces enfants ont été confrontés aux acteurs comme ceux de Conduite ?

Nous avons pris soin que ces acteurs ne participent pas aux essais, jusqu’à ce nous soyons très proches du tournage. Quand c’est arrivé, les enfants étaient déjà bien préparés, et l’impact s’est produit dans les deux sens. Nos acteurs ont tout de suite compris que le modèle de performance du film avait marqué les enfants et que le défi était d’entrer dans leur jeu. Alina Rodríguez, Yuliet Cruz, Miriel Cejas, Silvia Águila, Idalmis García, Héctor Noas, Armando Miguel y Tomás Cao ont fait beaucoup de travail avec les garçons et ont réussi à créer une atmosphère très détendue avec eux.

Qu’est-ce qui a motivé l’approche constituante du film d’une famille dysfonctionnelle et de notre système d’éducation ?


En réalité, Conduite n’essaie pas de parler du système d’éducation à cuba. Le regard se concentre beaucoup plus sur les risques auxquels sont exposés les enfants, notamment la manière dont les conditions sociales et économiques affectent la famille et l’école. Concernant ces questions et d’autres sujets connexes, les discours et les slogans abondent qui nous sont assignés par la vie quotidienne. La maîtresse Carmela met de côté cette rhétorique dans son désir de faire de leur salle de classe un espace différent.

Comment est cette salle de classe?

Un lieu dans lequel aucune différence n’est stigmatisée, où chaque enfant exprime ce qu’il pense, où les valeurs ne sont pas manipulées et nos essences assumées, où le visage est donné à la réalité et où les choses s’appellent de leurs noms. Mais surtout, c’est un lieu où il y a amour et engagement avec ce qui est fait. Il y a beaucoup de gens qui vivent au bord de la subsistance, aux prises avec des problèmes de toutes sortes qui vont avec cette réalité, les enfants de ces familles sont ceux qui ont le plus besoin d’une salle de classe comme celle-là. Bien sûr Carmela n’est pas parfaite, fait des erreurs comme tout le monde, mais elle sait demander pardon. Cette fragilité et cette transparence la rendent attachante aux enfants comme Chala.

Carmela est-elle un personnage fictif ou un vrai professeur que tu as côtoyée ?

Il existe une maîtresse de la Vieille Havane se nommant Carmela qui a fait la classe à l’un de mes enfants. Elle a servi de référant à notre personnage et m’a aidé pour une partie du scénario avec Clara et Eduardo, ainsi que deux autres maîtres chevronnés de Cerro. Carmela a également écrit les interventions orales existantes dans chacune des séquences du film et a choisi les phrases de Martí qui y apparaissent ; ses véritables cours commencent toujours ainsi. Mais le tracé intégral du personnage, et les événements que notre histoire expose, proviennent de beaucoup d’autres maîtres et du travail d’enquête préalable que les étudiants de la FAMCA ont faite.

As-tu pensé à Alina Rodriguez dès le début?

J’ai toujours voulu travailler avec Alina, mais en vérité lorsque j’ai écrit le script, celle que j’avais en tête pour la vraie Carmela, c’est une grande maîtresse que j’ai eue à l’école primaire, qui s’appelle Naomi Heredia. Maintenant, dès qu’Alina est arrivée pour le film, elle a commencé à occuper son lieu. La maîtresse que je cherchais était un peu plus âgée qu’elle, mais Alina a travaillé très fortement son personnage et a rempli de sens chaque détail de sa Carmela.


Parlons maintenant de Chala. J’ai compris comme étant très complexe la définition du garçon qui serait à interpréter.

Armando est arrivé le dernier jour de casting, de même pour Amaly, la petite fille qui joue Yeni. Cela m’était déjà arrivé pour Les Dieux Brisés avec Annia Bú, mais la grande différence c’était que sur le moment, rien n’indiquait à l’extérieur que cet enfant puisse incarner Chala. En fait, il a été rejeté lors de sa première audition et je ne sais toujours pas pourquoi je lui ai demandé de revenir. Il est vrai qu’il y avait d’autres enfants très talentueux qui semblaient plus logiquement correspondre au personnage, mais lui bougeait un petit peu chaque jour et petit à petit, il m’a montré des choses que je ne savais pas pouvoir faire partie de Chala. Cela a été une décision difficile, et l’une des rares que j’ai prise seul, parce que pour la plus grande partie de mon équipe, il n’était pas l’enfant que nous cherchions. Mais pendant le tournage, j’ai eu le soutien sans équivoque de tous, ce qui a été la véritable épine dorsale du soutien qu’ont pu obtenir chacun de ces garçons.


Pourquoi Alejandro Perez à la photographie ?

Pour son talent et son caractère. Il a une très bonne chimie avec les gars et sait comment créer un bon environnement de travail. Cela était décisif dans un film comme celui-ci.

Qu’est-ce qui t’a conduit dans ces endroits ?

Ce sont les lieux de mon enfance, les rues et les toits où je vis encore. Aiguiser une fibule sur les rails des trains (*) ou échouer dans la tentative de traverser la baie, par exemple, sont des expériences personnelles que les enfants du film ont été heureux de partager. Cela nous a aidés à nous rapprocher parce que nous savions tous très bien de quoi nous parlions. Pour le repérage des lieux [où trouver les enfants qui nous intéressaient] un travail très important a été réalisé par les étudiants de la FAMCA. Il ne s’agissait pas seulement de mettre en évidence ces espaces de l’environnement social dans lequel l’histoire se développe, mais d’exprimer certains dangers, la soif de liberté et la capacité de rêver des enfants, même dans les environnements les plus contraires. Erick Grass, notre directeur artistique, et Alejandro Pérez lui même, ont eu une importance décisive dans ce processus par lequel nous avons tenté d’approcher la manière dont les enfants perçoivent ces espaces où le film se déroule.


Le film aborde également des problématiques comme l’émigration interne et l’expression de certaines formes de violence. Est-ce le résultat d’un travail préalable que tu commentes ou l’intérêt de te référer à ces questions ?

Nous n’avons jamais posé les questions à l’avance. Nous nous sommes concentrés sur la mise sur pied d’une histoire et dans l’élaboration de personnages qui s’y meuvent naturellement et efficacement. À partir de cela, Conduite est un film simple, formellement orthodoxe en dialogue avec la nature de cette histoire et ses personnages. Bien sûr, tout cela est immergé dans un groupe de problématiques humaines et sociales parmi lesquelles l’émigration interne domine, en partie parce que les mesures prises pour la contenir ont approfondi une crevasse sociale. En ce qui concerne la violence, elle est souvent l’expression de conflits et d’insatisfactions qui ne peuvent être résolues qu’en s’attaquant à leurs causes réelles. Tout cela a un impact inévitable sur l’enfance, la famille, l’école et la société. Carmela ne peut pas changer la réalité de Yeni, de la petite fille de Holguín qu’elle a dans sa classe, mais il est bien clair qu’elle ne peut pas non plus leur tourner le dos.

Reviens-tu avec ton staff de toujours ?

En grande partie oui. Nous en avons déjà mentionné certains auxquels s’ajoutent de vieux collaborateurs comme Pierre Suárez et Osmany Olivare en charge de la post-production du film, Juan Antonio Leyva et Magda Rosa Galbán pour la musique, Vladimir le Cuenca pour le vestiaire et Esther Masero qui a été la productrice. En général, nous avons recommencé à disposer d’une grande équipe de travail.

Les modes de production sont au centre de la controverse actuelle du cinéma cubain, comment cela a-t-il fonctionné pour ce film ?

C’est une polémique nécessaire où nous sommes presque tous d’accord sur la nécessité de la légalisation de la production indépendante et la promulgation d’une Loi relative au Cinéma, promouvant et appuyant la cinématographie nationale sous tous ses angles. Dans notre cas, nous n’avons pas eu de grands obstacles productifs. Nous avons demandé et obtenu la plus grande autonomie possible puisque c’était la seule voie possible pour développer un schéma atypique du travail qui exigeait beaucoup de préparation préalable avec les enfants et un plan de tournage en fonction de cela. À partir de ce concept, le MINCULT (Ministère de la Culture), l’ICAIC (Institut Cubain des Arts et de l’Industrie Cinématographique) et RTV Commercial (Radio TéléVision Commercial) ont additionné leurs apports auprès de l’Association Cubaine de l’Audiovisuel et de la Faculté l’Art Audiovisuel des Médias de l’ISA (Institut Supérieur des Arts).


Enfin, qu’est-ce que symbolise la Vierge de la Charité qui figure dans la fresque de la classe de Carmela ?

Il s’est trouvé que cette fresque fait partie de l’histoire, ce n’est pas un symbole préconçu. Comme beaucoup d’autres choses dans le film, une partie de la réalité des faits est ce qui est naturel [ce qui est là]. Chacun lui octroie sa propre signification.

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G
<br /> La maturité et la force d'une société se mesure à la capacité de se représenter ses contradictions dans leur vérité; bien entendu, ces contradctions peuvent être utilisées par ses ennemis, mais<br /> le prix à payer à long terme pour le blocage du développement des contradictions est élevé.<br />
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