La critique s’entend suivant l’étymologie grecque comme l’attitude théorique et pratique qui vise à mettre son objet en crise, c’est-à-dire à le mettre dans une situation où, son être même étant en jeu, il n’a d’autre alternative que de se refonder solidement ou de s’effondrer complètement. La critique du capitalisme, qu’il ne faut pas confondre avec la critique de l’économie politique capitaliste, s’entend comme la position de ceux qui souhaitent soit la destruction soit l’amélioration profonde de l’actuel mode de production. Car la critique peut être de deux sortes : elle est interne, lorsqu’elle souhaite la conservation de ce à quoi elle s’attaque. C’est le cas de la critique sociale-libérale de l’actuel de notre contemporanéité économique, sociale et politique : sous couvert de modernité, elle défend en fait un capitalisme aux maux atténués plutôt que le socialisme, comme en témoignent ses affinités avec la droite « centriste ». La critique est externe lorsqu’elle vise la destruction pure et simple de son objet.
En résumé, quand elle est interne, elle cherche à provoquer une crise périphérique, à préserver le cœur de ce qu’elle attaque en le débarrassant de ses limites et de ses pathologies ; quand elle est externe, c’est à l’existence même de son objet qu’elle s’attaque. L’ambiguïté inhérente au concept de critique est un des éléments qui facilite le glissement, par lequel des pans entiers de la gauche risquent de glisser vers ce que j’appelle la Nouvelle Extrême Droite.
On peut distinguer, avec Immanuel Wallerstein, deux concepts de modernité. Il y a d’abord une modernité de la liberté, dont l’ère est ouverte par la Révolution Française. Elle est celle par laquelle l’humanité européenne a commencé à se libérer peu à peu des chaînes culturelles et politiques du passé féodal. Ensuite, il y a la modernité de la technique, par laquelle on se libère non des traditions culturelles et politiques archaïques mais de la nature elle-même. Avec Wallerstein, on peut tenir la critique de la modernité pour constitutive de la gauche authentique mais, paradoxalement, cette critique est la porte de derrière par laquelle les loups déguisés en agneaux risquent toujours de se faufiler dans l’enclos, pour y faire le travail réactionnaire dont Soral, Dieudonné et Séba ont, ces dernières années, repris le flambeau. Car la critique externe que fait la gauche authentique du capitalisme risque toujours, pour des secteurs fragilisés des classes populaires, de se muer en une critique externe de notre modernité politique elle-même.
La critique interne de la modernité républicaine comme constitutive de l’identité politique de la gauche
C’est de la Révolution Française que l’humanité moderne a hérité la notion de gauche et de droite politiques. Ceux qui s’asseyent à gauche dans les assemblées d’alors sont les plus fervents défenseurs de la modernité de la libération et de la République bourgeoise. Mais la société bourgeoise n’est pas la fin de l’histoire, n’en déplaise à l’idéologie dominante d’aujourd’hui. Elle porte en elle les germes de sa propre destruction. La critique de la modernité de la libération et de la République bourgeoise sont les symptômes du mal qui ronge, silencieusement, la société héritée de la Révolution. Le jeune Marx, par exemple, l’a bien compris : dans ses Réflexions sur la question juive, il décrit les droits de l’homme et du citoyen, en tant que droits bourgeois de l’homme bourgeois, membre monadique de la société civile. La liberté religieuse elle-même n’aurait pas émancipé l’homme de la religion : elle aurait paradoxalement renforcé l’aliénation religieuse, en la limitant à la sphère privée, comme le prouverait l’exemple des États-Unis d’Amérique.
Le jeune Marx est l’héritier de Robespierre et de la gauche de la Révolution, tout autant que le précurseur de l’histoire postérieure de la gauche, qui s’identifie d’ailleurs en grande partie à celle des « marxismes », dont finiront par se revendiquer tous les progressismes, même les plus réformistes. Les trois propos ci-dessous, tirés de Robespierre, de Marx et de Lafargue, le montrent bien, en ce qu’ils reposent tous sur une critique interne de la modernité. L’extrait de Lafargue, en particulier, indique que la modernité de la technique ne suffit pas à l’émancipation, qui exige qu’un mode de production nouveau rende effective les potentialités inscrites dans la simple amélioration des outils et des méthodes de production. Mais les extraits de Robespierre et de Marx, parce qu’ils portent sur la même question, celle du droit de l’homme à la propriété privée, montrent la continuité de la critique interne de la gauche :
« Vous avez multiplié les articles pour assurer la plus grande liberté à l’exercice de la propriété, et vous n’avez pas dit un seul mot pour en déterminer le caractère légitime ; de manière que votre déclaration paraît faite non pour les hommes, mais pour els riches, les acapareurs, pour els agioteurs et les tyrans » (Robespierre, Projet de Déclarationdes Droits de l’Homme et du Citoyen, 24 Avril 1793, in Robespierre, Pour le bonheur et la liberté, textes choisis par Yannick Bosc, Florence Gauthier et Sophie Wahnic, Editiosn La Fabrique, pp.228-238)
« Par conséquent, le droit de l’homme à la propriété, c’est le droit de jouir de sa fortuneet de disposer à son gré, sans se soucier d’autrui, indépendamment de la société : c’est le droit de l’intérêt personnel. » Marx, Réflexions sur la Question Juive, in Marx, Philosphie, coll. Folio Essais, p.72)
« Un poète grec du temps de Cicéron, Antipatros, chantait ainsi l’invention du moulin à eau (pour la mouture du grain): il allait émanciper les femmes esclaves et ramener l’âge d’or:
« Épargnez le bras qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez paisiblement! Que le coq vous avertisse en vain qu’il fait jour! Dao a imposé aux nymphes le travail des esclaves et les voilà qui sautillent allègrement sur la roue et voilà que l’essieu ébranlé roule avec ses rais, faisant tourner la pesante pierre roulante. Vivons de la vie de nos pères et oisifs réjouissons-nous des dons que la déesse accorde. »
Hélas! les loisirs que le poète païen annonçait ne sont pas venus: la passion aveugle, perverse et homicide du travail transforme la machine libératrice en instrument d’asservissement des hommes libres: sa productivité les appauvrit. » (Paul Lafargue, Le Droit à la paresse)
Le caractère interne de la critique ne se limite pas à la modernité politique. Il concerne aussi la modernité économique : il ne s’agit pas de revenir à l’avant capitalisme mais de dépasser l’actuel mode de production. On pourrait citer le Discours sur le libre-échange, de Karl Marx, qui s’achève par :
« Mais en général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. » (Karl Marx, Discours sur le libre-échange, Œuvres I, Economie I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Editions numérique sur : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1848/01/km18480107.htm)
On peut également faire référence aux passages du Manifeste qui montrent toute l’ambigüité de la position de Marx vis-à-vis de la bourgeoisie :
« Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. »
C’est donc une critique interne que fait la gauche de la modernité.
Critique interne de la modernité, critique externe du capitalisme
Si la critique interne est constitutive de la gauche, comment distinguer la gauche dans laquelle s’inscrit Changement de Société, de la gauche dite modérée? Il y a de la critique interne dans toute critique externe : en critiquant la dérive présidentialiste de la République, je fais une critique interne de la République mais une critique externe du présidentialisme. Il y a fort à parier qu’en faisant une critique interne de la même modernité les deux gauches ne fassent pas les mêmes critiques externes des composantes à transformer et à réformer dans cette modernité. Les socialistes, par exemple, ne semblent pas se souvenir de ce qu’est l’exploitation des travailleurs, là où tout un secteur de la gauche dite extrême s’en souvient. La gauche de gauche fait une critique externe du capitalisme qui est en même temps une critique interne à la modernité.
D’un autre côté, les moyens auxquels notre tradition politique consent parfois à contre-cœur sont un peu plus conséquents que ceux défendus par les autres composantes de la gauche. Nous savons, suivant la formule de Marx, que, dans certains cas extrêmes, « l’arme de la critique ne peut remplacer la critique des armes. » (Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Gallimard, Folio Essais, p.99)
La gauche, donc, est la tradition politique qui critique sa moderntié matricielle non pour l’abolir dans les ténèbres de la réaction mais pour la rendre plus et mieux elle-même, pour faire en sorte qu’elle tienne ses promesses. Ce critère de distinction est me semble-til, opérant, pour distinguer l’écologie moderne de ses racines historiques réactionnaires, liées à une mystique du sang et de la terre qui fait partie des sources du nazisme. Les adeptes du développement durable, par exemple, proposent une critique interne à la modernité de la technique : le développement de la production, telle qu’elle se pratique aujourd’hui conduit à la catastrophe d’une autodestruiction de l’humanité. Il faut donc, selon eux, adapter notre mode de production à l’impératif d’une croissance verte. Les objecteurs de croissance vont plus loin : ils font une critique externe de la modernité technique, mais appartiennent encore à la modernité de l’émancipation, puisqu’il s’enracinent dans un progressisme à la fois social et sociétal indubitable.
Kémi Séba contre la République
Le fascisme d’aujourd’hui ne saurait être la répétition de celui d’hier. Toute forme culturelle ou politique est le résultat d’une réappropriation voire d’une profonde ré-interprétation du passé en fonction des impératifs du présent. Cependant, s’il n’y a pas répétition, il y a continuité. Par exemple, la stratégie classique de l’extrême droite consiste à jouer sur la confusion, non avec la droite classique mais avec la gauche. Le « Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands » d’Hitler, le « Parti Solidaire Français » de Doriot ou le Parti Social Français, le groupuscule néonazi suprématiste blanc, sont des exemples de ce confusionnisme, comme l’est aussi la célèbre formule d’Hitler, reprise par Jean-Marie Le Pen : « socialement de gauche, économiquement de droite et nationalement français [ou allemand] ». On peut aussi citer le slogan d’Egalité et Réconciliation l’association fasciste d’Alain Soral : « la gauche des idées et la droite des valeurs ».
Qu’est-ce qui distingue la droite de l’extrême droite? Face à la Commune, la droite est forcée de se convertir à la République et à la modernité. Les traditions contre-révolutionnaires et anti-républicaines sont ainsi rejetées à l’extrême droite du champ politique. C’est là que réside le danger : parce qu’elles appartiennent aux traditions contre-révolutionnaires, elles critiquent la modernité, là où la droite modérée l’accepte béatement, parce qu’elle incarne les secteurs dominants des classes dominantes. L’extrême droite, en dehors des périodes de crise, est le camp des classes dominantes déchues par la bourgeoise, dont le pouvoir n’a cessé de s’accroître depuis 1789. C’est pourquoi l’un des mythes fondateurs de l’extrême droite est celui du « complot » maçonique : les francs-maçons jouent ici le rôle de symbole de la révolution honnie qui les a renversées de leur trône. C’est aussi la tradition des couches les plus dominées des classes dominantes, qui détestent le « mondialisme » parce qu’elles n’ont pas accès au marché mondial. C’est pourquoi le Front National est le Parti de France qui compte le plus de Petits Patrons. De même il n’y a rien d’étonnant à ce que Thomas Werlet du Parti Social Français soit un artisan luthier.
Le problème c’est que la République laisse sur le carreau des millions de ses enfants, parce que les promesses de Liberté d’Egalité et de Fraternité en sont que très partiellement réalisable dans le mode de production capitaliste. Pire encore, tant que subsiste le mode de production capitaliste, l’impérialisme rejettera des millions d’indigènes hors du champ de l’universalisme abstrait des républicains. Autrement dit, la vie même de millions de pauvres mais aussi de millions d’enfants et de petits-enfants de colonisés est la négation même de la modernité de l’émancipation. Kémi Séba, Dieudonné, le Parti des Musulmans de France ont pour rôle de s’assurer que la critique qui s’ensuivra soit une critique externe : quand le grand capital est menacé par les conséquences sociales possibles d’une crise ans précédent, il a tout intérêt à désamorcer cette modernité de l’émancipation, dont le mouvement ouvrier est l’avant-garde, quitte à devoir s’allier avec les lambeaux de noblesse nostalgique et la petite bourgeoisie, voire des gueux haineux et des ratés imbéciles du genre de Kémi Séba. Kémi Séba reproche à la République d’avoir été fondée « par des francs-maçons » et, pour cette raison, l’estime indéfendable. Il est donc dans la critique externe de la modernité républicaine.
Il est d’ailleurs significatif que Cheikh Anta Diop, qui est une des références dévoyées par les néonazis du MDI, se soit fait le chantre d’une Renaissance à l’Africaine plutôt que de Lumières à l’Africaine. Séba prétend en effet faire un retour aux traditions conservées ou perdues de ses ancêtres africains. C’est tout le sens de son adhésion à Nation Of Islam puis au « kémitisme », une pseudo-religion néo-païenne inspirée librement des croyances de l’Egypte ancienne, dont Cheikh Anta Diop a montré l’influence (méconnue en Europe) sur les cultures africaines. Ce que la France a fait, décapiter son roi, et avec lui, des traditions d’obscurantismes séculaires, c’est tout le contraire de ce que la Nouvelle Extrême Droite prétend accomplir dans l’Afrique imaginaire où elle veut « rapatrier » tous les « afrodescendants ».
Soral, les femmes et les homos
La Nouvelle Extrême Droite ne se limite cependant pas à Kémi Séba. J’ai déjà écrit ailleurs que le Front National me semblait sans avenir, que Marine Le Pen avait un nom et un air de famille trop prononcés avec la vieille école lepéniste. IL fallait du sang neuf et c’est là que Dieudonné, Soral et Séba pouvaient jouer un rôle, malgré leurs divergences. L’une de ces différences réside dans le fait que, formellement du moins, Soral et ses sbires se disent républicains et anticommunautaristes. En fait, ils sont anticommunautaristes à la façon dont les nazis étaient anti-impérialistes : de même que les pseudo-discours anti-impérialistes nazis camouflaient la haine de l’impérialisme allemand pour l’impérialisme non-allemand, Soral représente la haine de la « communauté » franchouillarde pour la communauté non-franchouillarde, juive, « apatride », « sioniste ». Avec le soutien de Dieudonné, le projet semble être l’union de la communauté franchouillarde des « souchiens », comme dirait l’autre, et des communautés noires contre les « sionistes », c’est-à-dire, évidemment, les juifs.
Si on feitn d’accorder une quelconque valeur aux prétention républicaines de Soral, il reste encore un point sur lequel il se distingue nettement de la gauche, en tant qu’elle fait une critique interne de la modernité de l’émancipation. Lorsqu’il critique le monde « li-li bo-bo », libéral-libertaire bourgeois-bohème, Soral fait un emprunt théorique à Michel Clouscard, sociologue communiste dont il a préfacé les œuvres. Le problème c’est que Clouscard est à la frontière entre la critique interne et la crique externe de la modernité, dans sa phase post-68. Sa thèse fondamentale est que le « freudo-marxisme » mâtiné de nietzschéisme vulgaire des « années 68 » a préparé la libération des mœurs qu’il fallait pour qu’ils puissent alimenter l’économie de marché : si le désir n’est pas libéré, on ne peut organiser la surconsommation libidinale dont le système a besoin. Malheureusement, Clouscard ne parle presque jamais des effets positifs du Mai libéral-libertaire : il réduit l’élan des années 68 à sa récupération marchande. Autrement dit, il est dans la critique externe du Mai étudiant, tout en étant, communisme oblige, dans la critique interne du Mai ouvrier. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que Soral soit profondément conservateur sur le plan sociétal : les femmes et les homosexueles ne trouvent pas grâce à ses yeux. Pour Soral, le problème n’est pas que la libération sexuelle ait donné lieu à une débauche d’usages commerciaux du sexe et des femmes, de la pornographie à la publicité et que, par les clichés qu’elles véhiculent, celles-cisait renforcé le « fantasme originaire » hétérosexuel que Slavoj Zizek décrit ainsi : « le couple idéal et insupportable d’un singe mâle faisant l’amour à un cyborg féminin » (Zizek, Fragile absolu. Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu?, p.97). Pour Soral, le problème, c’est la libération sexuelle elle-même.
Pour une candidature communiste en 2012
En tant qu’électeur de gauche, pour 2012, j’attends du parti Communiste qu’il soit la boussole politique qui indique aux masses désorientées la direction à prendre pour une émancipation toujours plus complète. Sans une telle boussole, la critique, que les mécontents du système formuleront nécessairement tôt au tard, risque d’être une critique externe de notre modernité de l’émancipation. Le caractère interne que j’attends de la critique communiste n’est pas en contradiction avec l’attitude théorique et pratique révolutionnaire qu’on est en droit d’espérer du PCF : quand les bolchéviques renversent le gouvernement provisoire, c’est dans une critique interne de la modernité qu’ils s’inscrivent : il ne s’agit pas de revenir au tsarisme mais de dépasser l’étape de la révolution bourgeoise pour atteindre aller vers plus et mieux d’émancipation, vers le socialisme.
La société bourgeoise porte en elle les germes de sa propre destruction. Autrement dit, la volonté de dépasser cette société pour en transcender les limites et les pathologies est le symptôme de ces mêmes limites et pathologies : à travers le mouvement ouvrier et son avant-garde communiste, c’est la société actuelle qui s’auto-dévore, fait sa critique en acte. Plus profondément, en tant que nous sommes tous les produits de cette société, nous portons en nous les marques du mal à combattre. C’est aussi en ce sens que la critique est interne : elle exige que nous traquions en nous-mêmes ce que l’on peut et doit vaincre.
La critique de la modernité que j’attends de la gauche et du Parti qui a su être celui de la classe ouvrière pendant la plus longue partie du siècle passé ne peut s’intéresser qu’au mode de production capitaliste. L’ennemi est forcé de suivre le mouvement de l’histoire et donc de composer avec la modernité : autrement dit, il finit toujours par intégrer à contre-cœur ce que le progrès lui impose. Par conséquent l’écart entre nous et les autres se réduira avec le temps si nous ne faisons pas l’effort, après chaque bataille, de porter nos regards plus loin sur une émancipation encore à conquérir : l’émancipation complète doit fonctionner comme l’idéal régulateur vers lequel on tendra sens cesse, comme une courbe vers son asymptote. C’est pourquoi il ne faut pas laisser aux autres le soin de s’attaquer au mode de production patriarcal, dont Christine Delphy a montré qu’il co-existait avec le mode de production capitaliste, ni aux racismes en tous genres. Car, d’une part, c’est sur le terreau de l’humiliation raciste de millions de descendants de colonisés que germe la nouvelle extrême droite et, d’autre part, les humiliations sexistes et homophobes subies par des millions d’hommes et de femmes servent de prétexte à une islamophobie abjecte sur le sol de la République comme sur la scène internationale, que la droite mondiale transforme en champ de bataille pour le choc de civilisations, ou plutôt des barbaries.
Il faut donc une lutte intersectionnelle, comme disent les spécialistes, c’est-à-dire une lutte qui articule le genre, la classe et la « race ». Pour que cette lutte soit possible il faut naturellement que le PCF revienne au fondamentaux de la lutte des classes, qu’il faut non pas abandonner mais compléter des luttes sociétales héritées des années 68…Il lui reste moins de deux ans…