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Réveil Communiste

Comment l'Union européenne sanctuarise les forces du capital

15 Décembre 2014 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #l'Europe impérialiste et capitaliste

lu sur PCF Bassin :

 

Constitutions, souveraineté et Grèce

14 décembre 2014

Par 

http://russeurope.hypotheses.org/3143 

La question de la souveraineté est directement posée aujourd’hui par le comportement des institutions de l’Union européenne et de leurs dirigeants. Ces dernières ont pris le parti de ne considérer que le principe légalité et de l’établir comme l’unique principe de fonctionnement de l’UE, et ce au détriment de la légitimité. A travers cette manipulation, elles peuvent faire disparaître le principe de souveraineté car, si seul compte le légal alors on n’a plus besoin du « juste », c’est à dire la légitimité, et l’on peut se passer de qui doit dire le juste, soit le Souverain. Mais, cette remise en cause est aussi à l’ordre du jour en raison de l’irruption du Constitutionnalisme économique sur la scène publique.

L’importance grandissante des constitutions économiques.

Le terme est inconnu du grand public, et pourtant la notion de constitution économique est aujourd’hui très présente. C’est elle qui est à l’œuvre dans les divers traités qui organisent désormais le fonctionnement de l’UE. Une constitution économique consiste en un cadre de lois et de règles que l’on prétend mettre hors d’atteinte du pouvoir légitime, qu’il s’agisse de celui du législateur ou de celui du gouvernement. On comprend bien où l’on veut en venir: n’ayant pu imposer un traité constitutionnel, en raison de son rejet par les peuples français et néerlandais, on a décidé de tourner la difficulté et d’imposer une constitution économique sous le couvert d’une nécessité technique. Telle est la nature des différents traités organisant désormais les pratiques budgétaires des Etats membres de l’UE. Ce faisant, néanmoins, on a opéré un pivotement fondamental de l’UE, et l’on est sorti des limites strictes de ce que l’on appelle la démocratie. Le terme de Constitutionnalisme économique désigne donc à la fois une théorie qui était jusqu’à ces dernières années un sujet pour spécialistes, mais aussi une pratique sur laquelle il va falloir réfléchir en raison de son importance. Trois types d’arguments surgissent en effet dès que l’on cherche à prendre au sérieux la démarche “constitutionnaliste” hayekienne[1] : l’argument de stabilité du choix, l’usage d’une métaphore avec le système politique pour « justifier » l’existence d’une Constitution économique et l’argument dit « d’opérationnalité», soit l’efficacité de cette « Constitution » quand bien même elle violerait les principes de la décision démocratique.

L’argument de la stabilité du choix part de l’idée que, dans un monde où l’incertitude radicale règne, il est nécessaire si l’on veut que les acteurs puissent améliorer leurs décisions de construire des espaces de stabilité. On oppose alors cette stabilité à l’instabilité qu’engendrerait nécessairement l’action discrétionnaire des gouvernements. Mais, d’une part rien ne prouve que l’action gouvernementale produise toujours de l’instabilité, et rien ne prouve que des règles conduisent nécessairement à de la stabilité. On touche ici aux limites normatives des auteurs de l’école du Public Choice. Comme le montre l’histoire des traités de limitation des armements, les règles organisatrices peuvent être, elles aussi, un puissant facteur d’instabilité[2]. Chaque fois que des prohibitions sur certaines armes ont été édictées et respectées, ne serait-ce que temporairement, on a assisté à une prolifération d’innovations visant à tourner ces prohibitions. On voit ainsi qu’un système de règles organisatrices ne joue un rôle stabilisant que quand il peut s’appuyer sur l’expression d’un pouvoir discrétionnaire légitime ; les règles seules n’ont donc pas cette capacité. Un tel système ne permet donc nullement de faire l’économie d’une justification en légitimité, et par là en souveraineté; il place au contraire la question du mode d’organisation au sein même de l’espace politique où ces justifications dominent.

En deuxième lieu, on trouve un argument basé sur une analogie entre le système politique et le système économique. Le système politique a besoin d’une constitution, et d’une hiérarchie des normes : règles constitutionnelles, lois, règlements. On en déduit que le fonctionnement des marchés serait meilleur si les acteurs qui doivent y opérer étaient confrontés à des cadres qu’ils ne peuvent modifier. D’où, bien entendu, l’idée de soustraire à la décision politique la fixation de ces cadres pour assurer, ici encore, une stabilité des décisions des acteurs.

Mais, on est fondé à penser que cette comparaison entre un système de règles économiques et une Constitution politique est abusive. Elle repose en réalité sur deux erreurs. La première consiste à croire que c’est la Constitution qui crée la stabilité du cadre politique. Si on regarde la vie politique française, on peut constater que c’est l’inverse. Tant que perdurent des affrontements fondamentaux sur la forme du régime politique et la distribution du pouvoir, les constitutions durent peu. Dans une Constitution, on trouve en même temps des clauses structurelles et des clauses de droit[3]. Les clauses structurelles visent à l’organisation de l’espace de débat; elles concernent les modalités d’élection, de vérification, de fonctionnement du système politique au sens le plus réduit du terme. Ces clauses sont très certainement des règles organisatrices, qui évitent que certaines questions soient interminablement rediscutées à chaque occurrence. Il est ainsi parfaitement légitime de débattre régulièrement du mode de scrutin, et ce dernier peut être modifié. Ceci était bien vu par des auteurs comme T. Jefferson ou J. Locke pour qui les décisions d’une génération ne pouvaient lier la suivante[4].

Il reste un troisième argument, qui est celui de l’opérationnalité des règles extériorisées face au débat démocratique. Cet argument doit être abordé sans naïveté. Nous savons, si nous voulons nous situer dans le cadre d’une analyse réaliste, que les systèmes démocratiques sont loin d’être parfaits. Ils peuvent aboutir à des situations de blocage qui sont récurrentes. Par ailleurs, quand bien même une situation de blocage ne serait pas récurrente, elle peut survenir pendant un temps suffisamment long pour empêcher la société de répondre à des problèmes nécessitant une réaction rapide. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ce cas des règles, même si elles sont édictées de manière non-démocratique ? De telles règles seraient susceptibles de fonctionner opérationnellement plutôt que le chaos induit par le blocage du système politique. Mais, on peut s’interroger sur l’opérationnalité réelle d’une règle constitutionnelle en économie. La limitation de l’action discrétionnaire du gouvernement, comme par exemple dans l’interdiction du déficit budgétaire ou celle de la monétisation de la dette publique en Allemagne, peut conduire à la catastrophe. C’est ce que montre l’exemple de l’Autriche dans les années vingt et trente[5]. Ce que nous enseigne donc la célèbre crise de laCreditAnstalt[6] c’est que nul pouvoir ne saurait prévoir la nature des crises à venir. Il n’y a en réalité rien de plus fidèle à la pensée de Hayek, ou de Keynes, que cette constatation ! Sa conséquence cependant n’est pas conforme aux enseignements de Hayek, mais bien plus à ceux de Keynes. Il faut laisser au pouvoir sa liberté d’action discrétionnaire.

Le scandale Juncker et la Grèce.

Cette pratique des constitutions économiques est devenue désormais dominante à travers la crise de la dette qui sévit dans de nombreux pays. Elle constitue donc un objet politique en débat. On l’a vu tout récemment quand de nombreux Grecs se sont indignés des déclarations de M. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission Européenne[7]. Ce dernier avait, assez clairement, signifié sa préférence pour un gouvernement conservateur en Grèce, alors que se préparent d’importantes élections générales. L’incident est éclairant de la dérive que le droit a connue dans les institutions européennes depuis 15 ans. Qu’un chef de gouvernement exprime ses préférences politiques lors d’élections dans un autre pays est une attitude certes inamicale, ou à tout le moins manquant de réserve, mais elle est compréhensible. Ce chef de gouvernement exprime les intérêts (ou ce qu’il pense être les intérêts) de son pays. Mais, M. Juncker n’est pas le chef du gouvernement d’un pays ; il n’est que le président de la commission européenne et, de ce point de vue se doit de respecter une stricte neutralité devant les choix de l’un des pays membres de l’Union européenne. Le fait qu’il se soit permis cette déclaration, que l’on peut juger scandaleuse, témoigne du fait qu’il se pense en droit de le faire. Et c’est ce « droit » qui doit nous interroger. Il signifie que M. Juncker pense détenir un droit supérieur aux électeurs grecs pour dire par qui ils doivent être dirigés. Par cette déclaration, M. Juncker trahit le fait qu’il considère que la Commission européenne est bien une instancesupérieure aux gouvernements des pays membres, un instance dont la légitimité lui permet à lui, petit politicien faisandé d’un pays dont les pratiques fiscales constituent un scandale permanent, de dicter ses conditions. La seule légitimité dont il peut se prévaloir n’est que la légalité d’un traité. Nous avons, là, un exemple immédiat et direct de la circularité du raisonnement tenu dans les instances européennes. Il faut de la légitimité pour contester un droit légal dans un autre pays. Mais, cette légitimité ne provient elle-même que de la légalité d’un traité fondateur. En quoi cette légalité est-elle supérieure à la légalité du scrutin en Grèce ? Il n’y a nulle base pour l’établir, car il faudrait alors se référer à un principe de Souveraineté, ce dont les institutions européennes ne veulent sous aucun prétexte.

Une usurpation de souveraineté.

Cette usurpation progressive du droit par un groupe d’individus appuyés sur des institutions techniques est l’une des caractéristiques de l’Union européenne telle qu’elle existe et fonctionne dans la réalité. Le développement d’instances de décision économiques (comme la Banque Centrale Européenne mais aussi la Commission Européennes) qui sont déconnectées de tout contrôle démocratique, que ce soit dans le droit ou dans la réalité, a suscité depuis longtemps de nombreuses oppositions. De même, l’idée que des règles puissent imposer aux représentants du peuple des obligations dans des domaines clefs, comme le domaine budgétaire, provoquent des interrogations multiples quant à la démarche qui a été adoptée. Le traité sur la gouvernance commune, le TSCG, établit en effet la supériorité de ces règles sur le peuple souverain représenté par son parlement. En réponse à ces interrogations et à ces critiques s’est développée l’idée aujourd’hui répandue qu’un « gouvernement par les règles » pourrait se substituer à un gouvernement du peuple (comme dans la construction européenne), idée qui trouve son expression dans la notion de « démocratie sans démos »[8]. En fait ce sont des exemples de l’entrée du Constitutionnalisme économique dans notre vie[9].

La notion de Constitution économique a une histoire ancienne dans la théorie économique. Sous sa forme moderne, elle plonge ses racines dans la pensée tardive de F.A. Hayek. La conception qu’avait F.A. Hayek des règles, et dont l’influence tant directe qu’indirecte sur de nombreux auteurs a été importante, justifie son adhésion au constitutionalisme économique. Cette conception a été souvent reprise par des courants économiques qui se fondent en réalité sur des hypothèses fort différentes. Il est ainsi piquant, et assez drôle, de voir des économistes néoclassiques se réclamer désormais du Constitutionnalisme économique, eux qui, par construction, réfutent le rôle des règles car ils ne croient qu’à la maximisation des choix individuels et rejettent par là même le principe de l’incertitude. On retrouve bien entendu l’importance de la notion de Constitution économique dans l’école américaine du Public Choice[10], mais aussi dans différents mouvements politiques comme le Tea Party. A chaque fois s’exprime le rêve ou l’illusion d’un cadre organisateur des activités humaines qui serait incontestable, et par là préservé des conflits politiques. C’est l’illusion que l’on peut vivre en société sans faire de la politique, alors que toute société est éminemment politique.

Au-delà, se profile toujours la question de la souveraineté. On voit bien comment à chaque fois que l’on tente de la contourner pour mieux la nier on se heurte en plein dedans. Cette notion constitue en effet l’horizon indépassable de la politique. De cette dernière découle, à chaque fois qu’il y a une contestation, la question de la légitimité. La nécessaire distinction entre le légal et le légitime, distinction qui s’impose pout pouvoir contester en justesse et non pas simplement du point de vue de la légalité, une décision impose que l’on définisse d’ou provient cette légitimité. De plus, si l’on veut soumettre la première notion (le légal) à la seconde (la légitimité), il faut poser la question de la souveraineté, et de qui est réellement le souverain. Cette interrogation est constitutive du problème de la démocratie. L’origine de la souveraineté, rappelons-le, ne peut être religieuse si l’on veut qu’elle fasse consensus dans une société marquée par la pluralité des croyances. Ceci n’est possible qu’en reliant le concept de laïcité à celui de souveraineté.


[1] Hayek F.A., Law, Legislation and Liberty, Volume 3: The Political Order of a Free People, Chicago, University of Chicago Press, 1981.

[2] Downs G.W., & D.M.Rocke, Tacit Bargaining, Arms Races and Armes Control, The University of Michigan Press, Ann Arbor, Mich., 1990

[3] Sunstein C.R., “Constitutions and Democracies: an epilogue”, in J. Elster & R. Slagstad,Constitutionalism and Democracy, Cambridge University Press, Cambridge, 1993 (1988), pp. 327-356

[4] Jefferson T., “Notes on the State of Virginia”, inWritngs – edited by M. Peterson, Library of America, New York, 1984. J. Locke, Two Treatise of Governments, Mentor, New York, 1965, Livre II, ch. 8.

[5] Schubert A, The Credit-Anstaly Crisis of 1931, Cambridge University Press, Cambridge, 1991

[6] März E., Austrian Banking and Financial Policy: Credit-Anstalt at a Turning Point, 1913-1923, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1984

[7] AFP cité par le Point, « Grèce, la ‘provocation’ de Jean-Claude Juncker », publié le 13/12/2014,http://www.lepoint.fr/monde/juncker-veut-des-visages-familiers-a-athenes-13-12-2014-1889466_24.php

[8] Colliot-Thélène C., La démocratie sans Demos, Paris, PUF, 2011.

[9] Et qui est même théorisé par certains économistes : J.B. Taylor, Getting Off Track. How Government Actions and Interventions Caused, Prolonged and Worsened the Financial Crisis, Hoover Institution Press, Staford, 2009.

[10] Buchanan J.M., et G. Tullock, The Calculus of Consent : Logical Foundations of Constitutionnal Democracy, Univ. Of Chicago Press, 1962. James Buchanan est décédé le 9 janvier 2013

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<br /> <br /> <br /> <br /> L’UNION EUROPÉENNE: plus que jamais, en sortir ou en mourir !<br /> <br /> <br /> Gauche et gauche de la gauche dans une impasse mortifère. Deux évènements qui viennent de se dérouler ces derniers jours ne seraient qu’anecdotiques s’ils n’annonçaient une année 2015 d’enfer<br /> pour…<br /> <br /> <br /> Pour lire la suite cliquez ici<br />
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