Après la répression violente de la manifestation de Lyon du secteur santé
Le jeudi 6 octobre, trois personnes - deux soignantes et une administrative - qui travaillaient à la clinique mutualiste de St Etienne, étaient gravement blessées. Elles participaient a un rassemblement appelé a Lyon devant le Palais des congrès ou se tenait le congrès national de la FEHAP, la fédération patronal de leurs employeurs. Cette fédération qui regroupe les chefs d’établissement du secteur de santé social et médico-social à but non lucratif est la principale organisation de ce secteur et la seule siégeant côté employeur dans la commission nationale paritaire de la convention collective 51. Elle venait de la dénoncer en août dernier, faute d’avoir pu faire accepter aux organisations syndicales représentatives des salariés, les remises en causes d’un certain nombre de dispositions pour lesquels sa signature était jusqu’alors engagée [1]. Autant dire qu’avec la dénonciation de cette convention, ce sont toutes les conventions de la branche, qui sont menacées. L’urgence était donc a la mobilisation, les personnels avaient massivement répondus a cette nécessité.
Les forces de l’ordre venaient de gazer ces millier de manifestants venus pour dire leur attachement à leur système de garantie, au prétexte qu’il leur avait fallu, aux dires du préfet, « se dégager face à une pression trop forte et agressive ». Nous savons tous combien les personnels médicaux et sociaux sont agressifs et bagarreurs et combien les personnels des compagnies de CRS sont faibles et démunis d’équipements pour se protéger !! Cet usage de gaz lacrymogènes, a entrainé un mouvement de reflux sur quelques mètres, chacun cherchant à se protéger des matières irritantes employées. C’est alors qu’elles s’essuyaient les yeux et tentaient de reprendre leurs esprits que ces trois personnes qui stationnaient sur une grille d’aération mal fixée ont été précipité dans une chute de plusieurs mètres après que celle-ci ait cédé sous leur poids. Secourues après une longue attente du fait de la singulière difficulté pour les sortir du lieux ou elles étaient, le bilan est lourd. Si toutes trois ont été gravement blessée, l’une d’entre elles se débat entre la vie et la mort.
La raison de tout cela, vient de ce qu’il fallait protéger du chahut quelques notables enfermés dans leurs mépris, leur autoritarisme et leur unilatéralisme. Incapable d’assumer le dialogue et les conséquences de leurs actes, ils continuerons d’ailleurs à ignorer ce qui se passait dehors sous leur fenêtre et poursuivront leurs travaux comme s’ils étaient sur une autre planète, assurés du bienfondé de leurs entreprises charitables. Il est à croire que plusieurs milliers de manifestants se sont retrouvés par pur hasard, que leur indignation relève d’une sorte de nature dévoyée qu’il faut nécessairement contenir afin qu’elle ne vienne incommoder les bonnes volonté réunies qui ont le sens du commun et de la société.
Pourtant toute situation a ses causes et ses effets. Il faudrait pouvoir venir les interroger d’une manière lente et patiente, tourner autour des réponses possibles, chercher à comprendre. Pourtant il existe bien des rapports entre des causes et des effets, les uns d’ailleurs découlant des autres ! Et bien rien de tel n’existe chez nos autorités responsables. Le lendemain, le préfet du Rhône s’empresse de livrer une version des fait qui laisse pantois tous ceux qui étaient présents à ce moment. Le communiqué prend une expression presque militaire pour expliquer que mille cinq cent personnes s’étaient regroupées telles des sections d’assaut pour à plusieurs reprises tenter de prendre le bâtiment que protégeaient les forces de l’ordre. Ainsi leur a-t-il fallu « se dégager » d’une « pression forte et agressive ». Cette action conduisait trois personnes qui avaient été « incommodées » par les gaz à se rendre vers un point d’eau pour se laver les yeux, ce sera à leur retour qu’elle passeront sur « une grille d’aération très éloignée du lieux de la manifestation » et que celle-ci après avoir « cédé à leur passage a entrainé leur chute dans une fosse de trois mètres de profondeur ». Il n’y a donc dans cette description des faits aucune relation entre le préfet, ses forces de polices et les manifestantes aux yeux rougies. On peut même se demander quelle idée elles ont eu de passer au-dessus d’une bouche d’aération ne supportant pas leur poids ! Il n’est pas question non plus de mettre en cause la solidité du matériel, ni d’ouvrir une enquête sur les causes de sa défection. Mieux, le préfet magnanime et homme responsable se fend pour terminer son courrier d’une morale a cette histoire malheureuse. « Il convient de rappeler que le droit de manifester n’implique nullement le droit d’affrontement, par ailleurs une critique est toujours mieux entendue dans le calme ». En somme, il faut tout accepter, ne pas revendiquer et encaisser avec gourmandise les coups donnés par des policiers qui s’en donnent à cœur joie sur des manifestants énervés par tant d’agressivité mais désarmés (les actualité régionales les montrent sans contestation possible en pleine activité défouloir).
Cette situation me rappelle une chanson écrite par Bob Dylan dans les années soixante, chantée en France par Graeme Allwright, qui demandait « Mais qui donc a tué Davy Morre et pourquoi est-il mort ? ». Davy Morre était un boxeur qui venait de disputer un ultime match au terme duquel il était mort. Personne ne voulait endosser la responsabilité de ce qui venait de lui arriver. Ce n’était pas le manager, ce n’est pas le producteur, ni le docteur ni la presse ni les spectateurs, c’était personne quand tous pourtant l’avaient conduit a ce dernier match. Tous étaient désolés de ce qui lui était arrivé mais chacun s’empressait de dégager sa responsabilité de ce regrettable épilogue.
Pareillement, le six octobre, personne n’est responsable du drame arrivé à ces trois femmes. Ce ne sont pas les employeurs de la FEHAP qui voulaient ramener les salariés de leur secteur au nivaux du code du travail, ni le gouvernement qui a créé les conditions budgétaires à la dénonciation de la convention, ni le patronat et les grandes fortunes qui ne veulent pas payer d’impôts, ni la ville de Lyon qui pose des grilles mal scellées et encore moins la police qui était là pour protéger les bons citoyens et leurs institutions en veillant a ce que tout reste dans le calme et le bienséance.
De leur côté le syndicat de la clinique mutualiste et l’union syndicale départementale santé de la Loire contestent les réponses données par le préfet et les rumeurs qui circulent, dans un communiqué daté du 10 octobre. « Aucune agressivité, aucun projectile n’a été lancé, les manifestants avaient les mains nues face à des CRS qui avaient des matraques, des casques et autres protections et des gaz lacrymogènes qu’ils ont utilisés, ce qui a provoqué un mouvement général de recul. La violence, c’est les forces de l’ordre qui l’a générée. Tout le monde peut en témoigner. Les salariés voulaient entrer pour rencontrer leurs employeurs, pour exprimer leur rejet de la dénonciation de leur convention collective devant toute la salle du congrès. C’était leur droit. Il aurait du être accordé ».
Le syndicat en profite aussi pour répondre aux allégations du Préfet qui prétend que le drame s’est déroulé « en marge d’une manifestation », « sur un lieu très éloigné ». Au contraire cela s’est passé « à quelques mètres seulement de la voiture sono CGT (une dizaine de mètres). Il y a eu usage de gaz, les manifestants se sont repliés pour se protéger, se nettoyer les yeux, c’est dans ce contexte là que la grille à cédée. Le drame a eu lieux dans le cadre immédiat du rassemblement après l’usage de gaz lacrymogène par les CRS ». Et le syndicat poursuit : « Dans quel monde vivons nous ? Nos directeurs n’ont même pas eu la décence de suspendre leur congrès ». Seuls les préoccupaient leur travaux au centre desquels une idée forte : trouver les moyens pour abaisser le coût du travail même si c’est au détriment des conditions d’exercice des soins.
Les causes sont là, les responsabilités forment une chaîne dont chaque maillon est solidaire l’un de l’autre. Chacun d’entre eux porte la responsabilité de ce qui est arrivé a Valérie, Catherine et Claire. C’est d’abord le gouvernement qui avec la loi HPST (hôpital, patient, sécurité et territoire) renforce la marchandisation des secteurs de la santé à but non lucratif et de l’action sociale en les ouvrant à la concurrence avec le secteur lucratif, en exigeant restructurations, fusions, licenciements. Ce sont les ARS, véritables bras armés du ministère et des préfets, qui par l’introduction de procédures d’appels à projets ouvrent la voie a l’économie marchande, mettent les secteurs, les établissements, les associations, les salariés en concurrence pour réduire les coûts en les transformant en prestataires de service, en dénaturant le sens du travail, par modification des pratiques professionnelles, en encourageant de fait les opérations de toilettages dans une recherche d’application des mots d’ordres patronaux « travailler plus pour gagner moins ». Ce sont les employeurs du secteur et leurs organisations qui se courbent toujours plus à ces exigences et qui le plus souvent les devancent avec un zèle écœurant pour démolir ce que des dizaines d’années avaient établies dans l’intérêt des personnels et des usagers (absence de références aux métiers, suppression des congés trimestriels et des jours anciennetés, individualisation des salaires sous couvert d’évolution personnelle, systématisation des évolutions).
Les attaques sont portées tout azimut au nom des contraintes budgétaires, économiques et financières qui pèsent sur les établissements. Loin de prendre cause pour les personnels et les usagers qu’ils sont sensés défendre, ils préfèrent l’unilatéralisme autoritaire et passer en force pour imposer leur exigence en sortant du cadre conventionnel. C’est la ville de Lyon et ses prestataire de services qui installent du matériel défectueux mettant en danger la vie de ses habitants. Enfin ce sont les forces de l’ordre qui, équipées comme pour faire face a une émeute gazent sans autre forme de discussion des manifestants pacifiques venus rétablir un dialogue suspendu par la force patronale.
Non ce qui s’est passé n’est pas de la faute des manifestants,ce qui s’est passé n’est pas non plus à chercher dans la cause d’un malencontreux concours de circonstances. Comme le disent leur collègues, le 11 octobre, « si nous avons organisé ce rassemblement à Lyon, c’est que depuis des mois nos employeurs s’attaquent à grand nombre de nos garanties collectives prévues dans notre convention collective nationale et font part d’un grand mépris en refusant de nous entendre. Pire fin août, ils ont dénoncé notre convention collective, ce qui veut dire qu’ils ont pris la décision unilatérale et violente de supprimer un grand nombre de droits acquis depuis 1951. Jeudi 6 octobre, nous sommes descendues à Lyon pour manifester notre indignation face à une telle attitude. L’ambiance dans le bus était joyeuse mais nous avions tous à l’esprit que nous venions défendre notre convention, nos acquis, nous étions déterminées. A notre arrivée au centre des congrès, nous avons rejoint nos camarades des autres départements et comme eux nous réclamions à rencontrer les directeurs pour être entendu. Nous étions en colère mais n’avons fait usage d’aucune violence. Pourquoi les CRS ont-ils utilisés les gaz lacrymogènes ? C’est ce qui a provoqué le recul des manifestants pour prendre de l’air et se rincer les yeux. C’est à ce moment là que les événements se sont passés, c’est à ce moment là que nos collègues, nos amies sont tombées pour défendre nos droit »... « Aucune violence, aucune agressivité, c’est ce que témoignent toutes les personnes qui étaient présentes au rassemblement – dit une autre syndicaliste – et pourtant les forces de l’ordre n’ont pas hésité à les gazer, et qu’il n’en déplaise à Mr le préfet de région, c’est bien le terme gazer que l’on peut employer, c’est ce qu’ont ressenti ceux qui étaient présents, qui en ont pris plein les yeux, plein la tête, et ne minimisons pas de tels gestes. L’agressivité, la violence, c’est bien là qu’elle se situe ».
Ces syndicalistes veulent la vérité. « Que s’est-il passé, pourquoi cette plaque a-t-elle cédée ? Pourquoi les secours ont-ils eu autant de difficulté à parvenir auprès d’elles. Personne pour les accueillir, personne pour les guider, comment la sécurité est-elle assurée dans ce centre ? Pourquoi un tel dispositif policier a-t-il été mis en place ? Qui l’a demandé ? Qui a donné l’ordre d’utiliser les grenades lacrymogènes alors que rien ne le justifiait ? Le préfet dit n’avoir donné aucun ordre, que cela relevait de l’appréciation sur place des CRS mais qu’il n’y avait pas de consigne (là aussi les syndicalistes veulent connaître les responsabilités de chacun). Nous voulons la vérité nous ne laisserons de côté aucun détail mais nous voulons aussi plus de considération pour les victimes comme pour les salariés parce que ce n’est pas une poignée de main de la secrétaire d’état dont nos collègues ont besoin, c’est que leurs revendications soient entendues et leurs droits respectés, car c’est bien en défendant ceux là qu’elles ont été blessées... Plus que jamais aujourd’hui de partout nous exigeons l’annulation de la décision unilatérale des employeurs de la dénonciation de la convention collective 51 tout comme le démantèlement de l’ensemble des conventions collectives du secteur de la santé, du social et médico-social non lucratif... Ce qui s’est passé le 6 octobre – disent-ils encore – constitue un tournant : il faut que la FEHAP et les employeurs l’entendent, ils doivent faire part de plus de respect et de plus de considération envers les salariés et leurs représentants. » Mais ce qui s’est passé le six octobre laissera surtout des traces dans la vie de Claire, Catherine et Valérie, de leur familles, de leurs amis et de tous ceux qui présents ont assisté a leur drame.
Gilbert Remond
La vidéo du journal de FR3
[1] Les conventions collectives sont issues des luttes sectorielles, pour préciser l’ensemble des règles suivant lesquelles s’exercent les droits des salariés de ce secteur en termes de conditions de travail, d’emploi et de garanties sociales. Elles sont issues de compromis entre les employeurs et les organisations syndicales. Elles ne peuvent venir en deçà du code du travail