Analyse détaillée de l'ANI, l'accord scélérat MEDEF CFDT PS
sur Commun Commune :
Laurence Parisot, présidente du MEDEF, a qualifié d’ « historique » l’Accord National Interprofessionnel (ANI) signé le 11 janvier 2013 par trois confédérations syndicales de salariés (CFDT, CFTC et CFE-CGC) sur cinq. « Cet accord va mettre la Allemagne, en termes de fonctionnement du marché du Travail, aux meilleurs standards européens c’est-à-dire l’Allemagne et les pays du Nord » a-t-elle encore déclaré. On ne peut que partager cet avis : cet accord va indubitablement marquer durablement l’histoire des régressions sociales et nous rapprocher du « modèle » allemand. Le projet de loi que le gouvernement Ayrault soumet au vote des assemblées en procédure accélérée a eu à cœur de transcrire le plus fidèlement possible cet accord. Ce rejeton de l’ANI, dit « loi de sécurisation de l’emploi », vient de passer sans encombre l’épreuve de l’Assemblée nationale avec 250 voix « pour » face à 26 voix « contre », celles du Front de Gauche, et on peut craindre que les mobilisations en cours ou à venir ne suffisent pas à l’arrêter.
Que trois syndicats de travailleurs aient pu signer un tel accord a de quoi interroger leurs adhérents. Se sont-ils sentis flattés à l’idée d’entrer dans l’ère de la cogestion avec l’instauration d’un secret pour les élus et mandatés appelés à négocier avec les employeurs ? Le gouvernement a retardé l’annonce des chiffres qui, en application de la nouvelle loi de représentativité des syndicats de 2008, permettront désormais d’avoir une cohérence entre l’audience réelle de l’ensemble des syndicats sur le terrain (et non plus seulement les cinq syndicats historiques) et leur pouvoir de négociation des accords nationaux. C’était d’ailleurs une précaution inutile puisque FO et la CGT, avec respectivement 18,23% et 30,62% de voix, ratent de peu la possibilité de bloquer un accord national (seuil de 50%).
Ces « partenaires sociaux », comme les nomment les employeurs sans que lesdits « partenaires » n’y trouvent rien à redire, ont encore lâché du lest sur la bataille des mots : après avoir accepté les « plans sociaux » pour désigner des plans antisociaux , les « plans de sauvegarde de l’emploi » pour désigner des plans de licenciements, voici qu’ils acceptent de discuter de « mobilité volontaire sécurisée » ou encore d’« Accords de maintien dans l’emploi » qui ressemblent furieusement à des accords de pré-licenciement.
La hiérarchie des normes juridiques prévoyait qu’un accord d’entreprise soit plus favorable aux salariés qu’un accord de branche, lui-même plus favorable que la loi (code du travail). Cette hiérarchie a, pour la première fois, été remise en cause par le gouvernement Fillon. Voici que les fameux accords de maintien dans l’emploi, qui permettent d’organiser la flexibilité des horaires et des salaires à l’échelle d’une entreprise, entérinent cette inversion de hiérarchie. Le code du travail ne sera donc plus la référence en matière de droit minimal des salariés.
La mise en œuvre d’un plan (antisocial) deviendra une simple formalité bouclée en 2 à 4 mois qui ne fera sans doute plus la Une des journaux. Cette loi va considérablement étendre le champ des licenciements individuels en remplacement des licenciements collectifs.
Pour mieux accompagner la chute libre des contrats de travail à durée indéterminée (CDI) engagée il y a deux décennies, voici qu’apparaissent, à titre expérimental pour l’instant, des Contrat à Durée Indéterminée mais… intermittents (CDII), un truc pire que les CDD saisonniers !
Certaines dispositions abusives inscrites dans les contrats de travail, notamment sur la mobilité, qui ne tiennent pas une seconde en cas de recours aux prud’hommes, vont devenir du jour au lendemain légales et inattaquables. Au cas où les anciens contrats ne seraient pas assez favorables à l’employeur, pas d’inquiétude : ils deviennent modifiables dans le cadre des « accords de maintien dans l’emploi » et le salarié qui ne signe pas sera licencié... à titre individuel !
Autre bonne nouvelle pour les employeurs : les prud’hommes vont se vider, faute de plainte, car les possibilités de recours seront réduites à peau de chagrin. Prenons un exemple un peu caricatural : il arrive encore que des employeurs mettent littéralement un salarié « à la porte », sans prévis ni lettre de licenciement. S’il porte plainte devant les prud’hommes, le salarié a gain de cause au simple motif du non-respect de la forme qui suffira à invalider son licenciement. L’ANI prévoit que la forme ne soit plus utilisée comme argument pour invalider le fond. Notre salarié mis à la porte va-t-il entamer une procédure longue et souvent coûteuse aux prud’hommes s’il doit se battre uniquement sur le fond, sans même savoir quels faits lui sont reprochés.
Les mesures présentées comme des avancées sont assorties de conditions de mise en œuvre ou de possibilités de dérogations telles qu’elles sont toutes inopérantes. Ainsi, la durée hebdomadaire d’un temps partiel ne pourra plus être inférieure à 24 heures sauf si... le salarié « choisit » de faire moins d’heure ! Ce « choix » s’appliquera-t-il automatiquement à tous les salariés déjà à temps partiel et qui ont librement choisi de signer un contrat de 10 ou 15 heures hebdomadaires ? L’employeur pourra modifier la durée du travail 8 fois dans l’année, ce qui permet d’échapper à la majoration salariale sur les heures complémentaires et, au cas où cette disposition ne suffirait pas, cette majoration ne sera plus que de 10% contre 25% pour les heures supplémentaires. Les salariés à temps partiel - rappelons qu’il s’agit en très grande majorité de femmes -, deviennent des salariés de second d’ordre.
La généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé, librement choisie par l’entreprise, est à mettre en relation, d’une part, avec la baisse organisée des remboursements par la Sécurité sociale, d’autre part avec la pression des assurances à but lucratif pour pénétrer sur ce marché.
Pour une analyse plus complète et rigoureuse de l’ANI, nous invitons à se reporter aux textes de Gérard Filoche (http://www.filoche.net/) ou aux analyses de la CGT (Dossier spécial accord sur la "sécurisation de l’emploi" (http://www.cgt.fr/-Non-a-l-accord-de-regression-)
On peut, certes, questionner l’opportunité de maintenir le statut du salariat qui instaure une relation dissymétrique entre l’employeur et le salarié. Cependant, dans ce cadre qui a au moins le mérite d’exister et d’être défendu, force est de constater que le code du travail est le garde-fou unique et indispensable au maintien de cette forme de relation au travail. Les attaques de ce code sont suffisamment rares et limitées dans son histoire, somme toute récente, pour qu’elles soient considérés comme gravissime. Le M’PEP ne peut que s’accorder sur ce point avec les deux syndicats « représentatifs » qui n’ont pas signé l’accord (CGT et FO) ou avec des syndicats dits « non représentatifs » dont on n’a pas demandé l’avis (FSU, Solidaires...) ! Il soutient donc toutes les initiatives prises pour contrer l’adoption du projet de loi et sera dans la rue le 1er mai.
Les défenseurs de l’ANI soutiennent l’idée qu’une plus grande flexibilité du statut de salariés peut être un avantage pour l’emploi. C’est sans doute vrai pour les salariés les plus « compétitifs » qui se battent sur un marché de l’emploi mondialisé. Or, c’est justement parce que nous refusons la mise en concurrence des salariés les uns contre les autres que nous devons refuser la flexibilité. Pour contrer de façon cohérente cette orientation fixée par le patronat, il faut donc, en même temps, proposer un autre modèle qui passe par la mise en place de mesures protectionnistes aux frontières de la France. C’est la position que défend le M’PEP.
À supposer que les syndicats puissent l’obtenir, un maintien ou une amélioration de la protection des salariés ne pourra jamais être un outil de lutte contre le chômage au sein de l’Union européenne. Que la procédure soit simple ou compliquée, une entreprise trouvera toujours le moyen de licencier si elle y a intérêt pour délocaliser ou faire face à des difficultés ; une collectivité suivra le même chemin si des contraintes budgétaires l’y obligent. Or, ne nous y trompons pas, la loi de « sécurisation de l’emploi », aussi dramatiques que puissent être ses conséquences pour le monde du travail sur le plan matériel et moral, ne fait jamais « que » faciliter les procédures, notamment celle du licenciement collectif. Son impact quantitatif sur le nombre de chômeurs sera faible ou nul et elle ne doit pas masquer les véritables enjeux de la question du chômage.
Le M’PEP s’est donné comme perspective une suppression du chômage et démontre que le développement de l’emploi dans les secteurs marchands et non-marchands permet d’atteindre cet objectif. Pour cela, le M’PEP propose :
- La mise en œuvre d’un véritable droit opposable à l’emploi que l’État devra mettre en œuvre à l’image de ce que qu’il fit pour instaurer l’école primaire obligatoire au début du XXème siècle.
- L’ouverture de négociations bilatérales avec chaque pays ayant pour objectif l’équilibre des échanges (selon les principes de la charte de La Havane, voir à ce sujet les propositions du M’PEP à l’adresse suivante http://www.m-pep.org/spip.php?article607). Ces négociations bilatérales pourront déboucher sur un accord autorisant chacune des deux parties (la France et l’État avec lequel on négocie) à mettre en place des mesures protectionnistes : quotas d’importation, taxes à l’importation pour arriver à l’équilibre des échanges. Dans le cas où un Etat refuserait cette négociation bilatérale, la France se réserve le droit de prendre envers lui des mesures protectionnistes unilatérales. C’est le premier levier que propose le M’PEP dans ses 10 propositions pour ré-industrialiser la France (à lire sur le site du M’PEP http://www.m-pep.org/spip.php?article3138).
- Un développement sans précédent du secteur non-marchand, notamment pour satisfaire les besoins sociaux de la population ou encore pour mettre en œuvre la transition énergétique.
Le Mouvement politique d’émancipation populaire (M’PEP).
Le 11 avril 2013.