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Réveil Communiste

Afrique du Sud : Marikana, une épreuve dans le sang, par A. Moumbaris

4 Décembre 2012 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #L'Internationale

Sur le blog de Moumbaris (dossiers du BIP). Alexandre Moumbaris, communiste grec, est un militant du combat contre l'apartheid en Afrique du Sud, où il a fait plusieurs années de prison pour son activité politique. Il anime aussi la "Nouvelle Association Staline". Ce texte date de septembre 2012. 

 

 

Les événements sanglants du mois d’août à Marikana, en Afrique du Sud, imposent la réflexion. Bien que la réalité sud-africaine soit complexe, il y a néanmoins des aspects simples et faciles à circonscrire.

La grève sauvage déclenchée à Marikana vers le 10 août - considérant les conditions d’exploitation et d’existence des ces mineurs - exprimait une exaspération non seulement justifiée mais inévitable, même conditionnée. Poussés à bout, leurs vies étaient invivables.

La mort de 46 personnes est à déplorer, la plupart des mineurs, mais également deux policiers, deux gardiens de sécurité et six délégués syndicaux du Syndicat national des mineurs (NUM), tués les jours précédents sans compter ceux gravement blessés.

Mais diverses autres formes de violence, potentiellement mortelles, affligent aussi le quotidien des habitants du bidonville de Marikana; elles peuvent être physiques, économiques, sanitaires, criminelles…..

Parmi les ouvriers et habitants de Marikana je ne tenterais pas de mettre dos à dos les victimes et les agresseurs, les morts et leurs meurtriers, les volés et les voleurs, les raquettés et les raquetteurs, … mais plutôt je considèrerais Marikana comme un ensemble humain, qui dans ces conditions spécifiques, a engendré de tels comportements extrêmes, où finalement tous sont des victimes.

Mais victimes de qui? Victimes de la nature du capitalisme débridé (ou pas suffisamment bridé), de la course à la maximalisation des profits et des dividendes, de la compression du coût de la main d’œuvre. Bien que de par sa nature le système capitaliste soit amoral, néanmoins dans la pratique, les rapports humains entrent en jeu et pour chaque cas spécifique cette règle mécanique s’adapte «intelligemment» et tente par des tactiques, des stratégies et des alliances à s’imposer à la classe ouvrière qui répond avec ses propres armes, tactiques et stratégiques dans ce que nous appelons la lutte des classes. Dans ce cadre on doit tenir compte non seulement du présent mais aussi de l’histoire, de la culture... des espérances, qui font valoir une moralité qui alimente la volonté et éclaire le chemin à prendre.

Dans le cas de l’Afrique du Sud, qui produit près de 80% du platine mondial, soit un quasi-monopole, serait-il infaisable d’imposer au marché international — que nous savons manipulé — un prix qui comprendrait une paye décente pour les mineurs? Parce que si ce n’est pas le cas, une solution socialiste — la nationalisation de la mine — qui en économisant les bénéfices dont jouissent les propriétaires/actionnaires et de leurs alliés de classe, pourrait bien être la seule alternative nationalement adéquate.

Certes cela aurait des répercussions sur tout le secteur minier, et particulièrement sur l’or, qui en augmentant occasionnerait une baisse relative des devises, en particulier celles de réserve, telles que le dollar, déjà affaibli par des assouplissements qualitatifs [la création monétaire ex-nihilo] à répétition auxquels ont eu recours le gouvernement des É-U et la Banque Fédérale, pour sauver leur économie accablée de dettes. Cela étant ce n’est pas aux ouvriers sud-africains de subventionner l’impérialisme étasunien!!!

Mais allons un peu plus loin, ou plus près des criminels directs. Quand la direction de Lonmin a décidé, au cours de la grève, plus sauvage que prétendument contrôlée par le syndicat minoritaire AMCU, de proposer une augmentation aux mineurs-perforateurs et pas à leurs assistants, c’était là une provocation, un affront, une tentative abjecte et coupable de diviser les ouvriers pour qu’ils s’en prennent les uns aux autres. Mais les ouvriers sont restés solidaires et n’ont repris le travail qu’après une augmentation de 11% à 22%, qui certes était loin des 300% qu’ils revendiquaient au départ, mais après six semaines sans paie certains avaient tout simplement «vraiment faim».

À l’initiative immédiate du le président Jacob Zuma, une enquête a été ouverte. Il est à souhaiter que les décisions qui résulteront de celle-ci, coïncideront avec les revendications des travailleurs, les espérances du peuple sud-africain, mais aussi celles de ceux, dont le président Zuma fait partie, se sont battus pour une Afrique du Sud libérée de l’apartheid et conforme à la Charte de la liberté de l’ANC.

Alexandre MOUMBARIS

 

Lire aussi :

 


Afrique du Sud

Une version pas dite de l’histoire de Marikana


par Solly MapaÏla, 2ème Sous-secrétaire-général du Parti communiste sud-africain (PCSA)

«Depuis le mois de février la terreur règne dans nos bidonvilles» (un ouvrier). Des voyous du «AMCU»[Syndicat de l’association des mines et de la construction] ont brulé hier (1er septembre 2012) ma voiture» (secrétaire de la section locale du PCSA). «J'ai dû fuir de ma cabane avec ma famille dans la partie Lonmin du bidonville. Nous avons abandonné tous nos biens, une télévision, un micro-ondes…. D’y retourner serait trop dangereux» (délégué syndical du NUM -Syndicat national des mineurs). «Si vous portez un T-shirt rouge, vous devenez leur cible» (un ouvrier).

Voilà quelques-uns des incidents choquants dont on a évoqué à la réunion de la population - conviée dimanche dernier par le Parti communiste sud-africain - au bidonville de Marikana depuis que s’est abattue cette tragédie. Dans une salle comble, il était difficile de compter exactement les personnes présentes. Il devait y avoir 700 à 1.000 habitants, beaucoup d'entre eux des mineurs de Lonmin et d’Impala Platinum et quelques vieilles femmes concernées par la violence et les perturbations de la vie quotidienne dans les environs.

Nous savions que nous allions dans un bidonville terrorisé et cela m’a ramené des souvenirs de massacres comme Boipatong au début des années 1990. Dans un contexte tendu comme celui-ci, nous n’attendions pas une participation aussi nombreuse. Toutefois il était clair que ceux qui étaient présents s’impatientaient à témoigner leur vécu traumatisant depuis des mois, sinon des années.

«Les jours qui précédaient les coups de feu du 16 août, les grévistes dormaient au koppie [la colline] un ouvrier âgé expliquait, «L’inyanga [guerisseur] leur avait dit qu'ils ne doivent pas s'approcher des femmes sinon le muti [médicament] pour les protéger contre les balles ne fonctionnerait pas. Ils continuent d’aller au koppie, mais seulement dans la journée. Tous les matins les hommes de main de l’AMCU vont de cabane à cabane pour saisir les hommes qui s’y trouvent pour les forcer d’aller au koppie

Une femme dans l’audience a convenu que des hommes-de-main ratissaient les cabanes à la recherche d’hommes. «Ils ne font pas que prendre nos hommes, ils volent des choses. Pire encore, avec nos hommes partis, des tsotsis [voyous] viennent aussi pour voler et violer. «Un autre ouvrier explique: «C'est pourquoi la plupart des ouvriers sont retournés chez eux dans les zones rurales. Cela arrive à chaque fois qu’il y a des violences comme cela.»

L’affirmation qu’une grande partie de la main-d'œuvre n'est plus à Marikana serait confirmée par les rapports que seulement 120 des 270 hommes arrêtés le 16 août étaient en effet employés à Lonmin. Cela étant dit, nous devons faire attention aux statistiques. Le tiers à peu près des ouvriers n’est pas employé par Lonmin mais par des sous-traitants. Aussi il est clair que parmi les «grévistes» beaucoup sont probablement des chômeurs, dont certains licenciés des grèves, non protégés, inspirés par l’AMCU de la mine d’Implats à proximité, d'autres ont été enrôlés de force au koppie, voire des badauds à la recherche désespérée d’un emploi.

Dans mon enquête auprès du camarade Frans Baleni, secrétaire général du NUM, pour évaluer combien cette pratique était monnaie courante dans la zone de la platine, il m’a informé d’un fait effrayant: parmi les 65.000 ouvriers d’Anglo-platinum, 25.000 environ ne sont pas ses employés directement.

Alors que la colère et les critiques de l’assistance à notre réunion était massivement dirigée contre les hommes-de-main mobilisés par l’AMCU, il y avait aussi un sentiment général qu'ils avaient été abandonnés par tout le monde et livrés à eux-mêmes. «La police n’est entrée en action qu’après que deux de leur collègues et deux agents de sécurité soient sauvagement assassinés les jours qui précédaient le 16 août - mais où était la police depuis des mois et même des années, où nous étions brutalement assassinés ici, dans nos habitations par ces mêmes voyous?».

D’autres accusaient les compagnies minières, la municipalité et les structures locales des autorités traditionnelles d’avoir omis de construire des maisons adéquates, ou de fournir des services essentiels dans les bidonvilles aux alentours des mines qui avaient proliféré la dernière décennie lors du boom de la platine. D'autres estimaient que NUM n'avait pas donné une direction approprié sur le terrain, laissant la porte ouverte aux démagogues populistes. «Ces gens répandent des mensonges tous les jours à propos du NUM - que le NUM possède des actions dans Lonmin, qu'il reçoit de l'argent du gouvernement, et le NUMn’a pas été là pour réfuter ou clarifier ces mensonges» déclare un ouvrier de Lonmin. À ce moment la question a été clarifiée; la division d'investissements du NUM n’investit pas dans les secteurs des mines, de l'énergie ou de la construction, ni ne reçoit de l’argent du gouvernement, au contraire son fonds le J.B. Marks Trust, a alloué plus 69 millions de Rands [6,5 millions d’euros] en bourses pour l'éducation des mineurs et de leurs enfants.

Un ouvrier plus âgé, délégué syndical local du NUM était partiellement d'accord. «Il est vrai que nous n'avons pas toujours su s'adapter aux nouvelles et difficiles réalités. Dans les années 1980, il a été au début difficile pour nous d'organiser. Il y avait un compound system [système de baraquements] très contrôlé avec des foyers de travailleurs situés dans l’enceinte de la mine. Les patrons des mines utilisaient les structures ethniques de ‘boss-boy’ [chef d’équipe noir] pour assurer la discipline, et il était difficile pour nous d’organiser. Mais une fois que nous avions pénétré les foyers de travailleurs, la concentration d’ouvriers à un seul endroit était telle que nous pouvions organiser très rapidement et de maintenir une discipline démocratique syndicale très efficace. Aujourd'hui, la plupart des foyers ont été fermés et la main-d'œuvre vit éparpillé à l’extérieur. Dans le passé, les mines nous fournissaient un ‘lit’ en béton et des repas. Les ouvriers pourraient envoyer chez eux dans les zones rurales la plus grande partie de leurs salaires -. il n'y avait pas grand-chose où les dépenser, sauf le magasin ‘Bantu’ [pour des noirs] et la boisson. Maintenant, les travailleurs recevaient une allocation d’hébergement extérieur de 1.800 Rands [168€] mais nous savons tous que cela n'est pas assez pour se payer une vraie maison. Par conséquent nous vivons dans ces cabanes comme des animaux. Sur nos maigres salaires nous devons payer pour nos lits et nos repas. Beaucoup parmi les ouvriers ont maintenant deux familles une ici et une autre au village. L'argent manque. Ce qui signifie que beaucoup de nos ouvriers sont devenus des proies faciles pour des mashonisas[usuriers), des chaines de Ponzi, des caïds des cabanes, de diverses formes de criminalité et des hommes-de-main. Voilà le sol du désespoir et de la vulnérabilité que bêchent les renégats du AMCU, et avant eux les brutaux Five Madoda [Madoda Cinq - Syndicat dissident du NUM] et leur belliqueux journal Worker’s Mouthpiece [le Portevoix des Ouvriers]

Les paroles de cet ouvrier âgé me sont revenus à l’esprit ce matin en lisant un article de l'ancien secrétaire général du COSATU, Jay Naïdoo dans la revue New Age, La démocratie n’existe pas. Le camarade Naïdoo écrivait: «Donc, aujourd'hui, nous devons nous demander si les syndicats dissidents ne sont que l'œuvre d'opportunistes. Affirmons-nous que les syndicalistes chevronnés seraient si faibles, malléables et intellectuellement inférieurs, qu'ils risqueraient de perdre leur emploi et leur vie - et pour quoi?» Je ne suis pas sûr de ce que le camarade Naïdoo essayait de dire. Les membres de la direction de l’AMCU avaient perdu leurs emplois quand ils ont été licenciés du NUM pour populisme antidémocratique et pour avoir de manière illégale mit en péril la santé et la vie d’AUTRUI par une grève-sur-le-tas souterraine qui a duré trois semaines. Encore une fois ils ont risqué la vie d'AUTRUI à Marikana - et pour quoi? Afin de s'imposer dans la collecte de plusieurs millions de Rands de cotisations syndicales des travailleurs.

Maintenant n'est pas le moment pour de longues polémiques avec le camarade Naïdoo qui a clairement oublié ses propres batailles avec les syndicats renégats comme UWUSA [United Workers Union of South Africa – Syndicat unifié des ouvriers d’Afrique du Sud] qui avaient été fournis par les patrons et s’appuyaient eux-mêmes sur la violence anti-travailleurs, des hommes-de-main et des superstitions rétrogrades de toutes sortes. Le chef de l'UWUSA habitait dans ma commune de Thokoza dans l'East Rand, et je peux témoigner qu’il se caractérisait de la même violence et mobilisation ethniciste arriérée. Maintenant c’est le moment pour établir une unité maximale au sein de le COSATU, et entre le COSATU et ses partenaires de l'Alliance [ANC-PCSA-COSATU] face à une attaque en plusieurs axes, contre la classe ouvrière organisée, dans le contexte d'une grave crise capitaliste mondiale.

Une telle unité doit être fondée sur l’identification correcte de ce à quoi exactement nous sommes confrontés. Les voix des habitants du bidonville de Marikana à la réunion du PCSA, le dimanche 2 septembre 2012, nous rappelle qu'il existe une lecture autre des événements, très différente de celles diffusées actuellement par les médias dominants. Avant la tragédie du 16 août, la thèse dominante était «rivalité syndicale» - comme si AMCU était un syndicat normal, mettant le NUM et l’AMCU dos à dos pour l’origine de la violence qui a vu deux policiers, deux vigiles en faction devant les bureaux du NUM à Rustenburg et six délégués syndicaux du NUM assassinés. (C’était la répétition en 2012 de l’intoxication mensongère des «violences de noirs contre noirs» du début des années 1990).

Après la tragédie 16 août, la thèse dominante était devenue «un état autoritaire brutal contre des grévistes non armés» - on nous appelait de nous souvenir de Sharpeville (mais pas de Boipatong, pas le Witdoeke, pas des lieux de carnages de la région de Midlands, Sebokeng, Kathorus (Katlehong - Thokoza - Voslorus) même pas la tuerie la plus récente de la Five Madoda et de leur journal Worker’s Mouthpiece à Rustenburg).

Je rappelle tout cela pour ne pas tirer un voile sur ce qui s'est passé le 16 août. Il doit y avoir une enquête exhaustive, sans restriction aucune, sur la conduite ce jour-là de la police et aussi sur les allégations de torture qui auraient suivi. Pour cette raison, le PCSA a pleinement soutenu la mise en place d'une commission judiciaire indépendante.

La commission auditionnera des témoignages de tous les côtés et s’assurera certainement que les voix du bidonville de Marikana aient l’opportunité de présenter leur version des faits. L’histoire qu’ils racontent est bien différente de celle qui prédomine – Marikana n’est qu’une des facettes d’une offensive anti-ouvrière généralisée dans le contexte de la crise capitaliste. Leur histoire fait partie d'un récit différent de celui qui prévaut - Marikana n'est qu'une facette d'une offensive anti-ouvrière de grande envergure, dans le contexte d'une crise du capitalisme. C’est une offensive menée non pas par l'État ou la police, mais de diverses manières par les compagnies minières, les partis de l'opposition parlementaire (avec leur attaque incessante contre les grands syndicats), les marchands de main-d’œuvre, et la plupart des médias locaux et internationaux. Dans cette offensive, ils flirtent dangereusement avec les démagogues et les opportunistes de tout poil pour séparer et diviser les ouvriers et la population qui les entoure.

La population a demandé à l’Alliance de jouer un rôle actif et d’être présente dans la région pour restaurer la normalité et les aider à améliorer leurs moyens d’existence dans cet environnement de richesses minérales, et qu’elle se range de son coté dans cette période extrêmement difficile.

————————————————
[Traduction Alexandre MOUMBARIS
corrigé par Roger PISAPIA]
[
Umsebenzi online, 6 septembre 2012]

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