Acclimater la leçon vénézuélienne : les prix mais aussi les salaires, par Marc Harpon
12 Décembre 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate
signalé par Alain Rondeau :
Posée sans référence au problème des salaires, la question des "prix justes" est le signe d’une régression de Marx à Proudhon (ci-dessus).
Le Venezuela est dans une mauvaise passe. L’inflation sur un an y atteint 54% et les pénuries se multiplient. Pourtant, la Révolution Bolivarienne a été, contrairement à la légende colportée par la presse, couronnée de succès et notamment sur le plan économique. Pour le mesurer, il suffit d’observer quelques indicateurs : le taux de croissance du PIB passe ainsi de 1,3% à 4,3% entre les années 1990 et la période postérieure à 2003, celui du PIB par tête monte à 2,5%, contre – 0,8% auparavant. L’inflation, qui monte en flèche depuis de nombreux mois, avait baissé et s’était stabilisée durant la présidence d’Hugo Chavez.
Ces succès économiques de la Révolution ont profité d’abord aux plus pauvres, comme l’indiquent l’augmentation des dépenses sociales et ses conséquences : l’amélioration du coefficient Gini (mesure des inégalités), l’amélioration de la santé publique ou encore la diminution de la pauvreté absolue. Mais le secteur privé aussi, malgré sa haine pour le chavisme, a lui aussi bénéficié des politiques menées par le Parti Socialiste Unifié du Venezuela. C’est ainsi que, durant les années Chavez, la croissance du secteur privé fut supérieure à celle du secteur public malgré les prétendues entraves imposées par l’État au marché et à ses lois ou l’augmentation massive des investissements publics.
Comment se fait-il donc que la République Bolivarienne semble de plus en plus au bord du gouffre économique ? L’une des explications se trouve dans les problèmes générés par l’intervention publique dans l’économie, qui introduit toute la lenteur des procédures administratives de même que la possibilité d’une corruption de la bureaucratie. La présidence de Maduro ne nie pas cet aspect du problème. Elle a ainsi pris des mesures pour faciliter l’activité des entreprises privées affectées par les effets pervers du contrôle des changes. En effet, les entreprises vénézuéliennes, pour se procurer des dollars, doivent les demander à l’État, qui les fournit à un taux officiel indépendant de celui du marché, pour des raisons de contrôle des changes et de souveraineté monétaire. Les lourdeurs de cette procédure ont empêché certaines entreprises de disposer de suffisamment de dollars pour importer des marchandises demandées sur le marché. Mais une autre cause semble à l’œuvre dans les pénuries et l’inflation rapide qui minent l’économie du pays. Il semble qu’ait lieu un violent sabotage économique, mené par des milieux d’affaires désireux de renverser la vapeur révolutionnaire. Cette « guerre économique » prend notamment la forme de la rétention spéculative de marchandises, qui, provoquant pénurie et hausse des prix, favorise une exaspération de la société que la droite espère exploiter.
Nicolas Maduro, qui a pris le relais d’Hugo Chavez, a trouvé une solution à ce problème : il souhaite imposer un plafonnement des profits des entreprises. C’est louable et cela devrait être efficace contre les surprofits spéculatifs : interdire que le taux de profit ne dépasse 30% c’est en même temps exclure par la loi les taux à trois chiffres que permet la vente à des prix gonflés artificiellement. Mais une telle mesure, malheureusement, ressemble à la revendication des « prix justes » mise en avant en 2013 par certains de nos camarades communistes et s’effondre face à la même objection de Marx :
«Il est inepte de supposer que le profit s’obtient en majorant le prix des marchandises, un marquant le prix très au-dessus de la valeur. L’absurdité de cette opinion apparaîtra clairement pour peu qu’on la généralise. Ce qu’un homme gagnerait régulièrement comme vendeur, il le perdrait non moins régulièrement comme acheteur. » Marx, Travail, prix, plus-value, in Marx, Oeuvres, I, Economie, I, Bibliothèque de la Pléiade, p. 507-508
Les marchandises s’échangent, Marx l’a démontré, selon leur valeur réelle, du moins en moyenne. Les profits qui s’expliquent, comme ceux des spéculateurs vénézuéliens, par une stratégie de majoration des prix peuvent exister, mais seulement à titre d’exception. Le Venezuela est dans une période de guerre économique exceptionnelle dans laquelle une façon exceptionnelle de faire du profit est devenue normale. On aurait tort d’extrapoler les mesures, légitimes dans leur contexte, de Maduro et de souhaiter leur importation chez nous, où les profits, généralement non spéculatifs, répondent aux règles normales du fonctionnement normal de l’économie capitaliste. En France, la revendication de « prix justes », malgré sa fausseté théorique, reflète un ressenti bien réel des couches populaires et il ne faut pas l’écarter. Cela veut dire qu’il est impératif que les communistes approfondissent la réflexion menée sur les prix en 2013.
Mais, maniée sans discernement, la revendication de prix justes pousserait les communistes à oublier les revendications des producteurs, les travailleurs, en les remplaçant par celles du consommateur. Dans les conditions françaises, est-ce parce que les prix sont trop élevés ou parce que les salaires sont trop bas que nous sommes de plus en plus nombreux à avoir des fins de mois difficiles (et commençant toujours plus tôt, parfois même au milieu du mois) ? Poser exclusivement la question des prix, reviendrait en même temps à ne pas poser celle des salaires, alors que c’est sur cette dernière dernière variable que l’on peut agir le plus efficacement, non seulement parce que les prix sont « naturels » comme disaient les économistes classiques, mais aussi parce que la rémunération du travail s’articule plus facilement aux luttes de classes menées dans les entreprises que le niveau général des prix. Les communistes français devront poser ensemble en les hiérarchisant ces deux questions : celle des prix, parce qu’elle correspond au vécu de nos compatriotes, celle des salaires, parce qu’elle est, dans la situation « normale » où les marchandises se vendent « à leur valeur », la véritable question fondamentale.
url de l’article : http://socio13.wordpress.com/2013/12/10/acclimater-la-lecon-venezuelienne-les-prix-mais-aussi-les-salaires-par-marc-harpon/
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