A propos du fétichisme du vote, par JC Delaunay
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Même s’ils sont de moins en moins nombreux, un certain nombre de communistes ont sans doute été sensibles à l’argument selon lequel, dans une élection, un communiste ne s’abstient pas, il (ou elle) vote, car de toute façon, s’abstenir c’est voter. Alors autant le faire en connaissance de cause, pour quelque chose, et non de façon abstraite et inutile, en boycottant. C’est sur la base de ce principe et de sa force idéologique, que la direction du PCF a mis en musique qu’il fallait voter. Ce vote aurait, a-t-elle laissé entendre, une double efficacité simultanée. A moyen long terme, il pèserait en faveur de l’Europe sociale. A court terme, ce serait la meilleure façon de s’opposer aux idées et aux prétentions de l’extrême-droite.
Je pense qu’une réflexion sur le vote dans notre société et en général, est aujourd’hui plus que nécessaire. D’une part le vote fait partie des conquêtes anciennes du combat populaire, mené par des personnes qui savaient mourir pour 25 francs ou beaucoup moins. D’autre part, cette réflexion doit être faite pour la raison que les communistes ont majoritairement mis en cause la forme léniniste de la thèse de la dictature du prolétariat, en évoquant l’indispensable recours au vote dans une société développée, pour faire la révolution. A partir de ce moment, le vote semble avoir été sacralisé. Il a donné lieu à ce que Gilles Questiaux a appelé le fétichisme du vote. Le vote serait, en toutes circonstances, une arme et d’une certain façon, la meilleure des armes possibles dans le combat démocratique et socialiste, dans le combat pour le communisme.
Pour celles et ceux qui croient en l’Europe sociale, le vote serait le moyen de long terme d’affirmation de cette espérance, de la même manière que plusieurs siècles de luttes populaires, en France ou dans les pays développés, ont progressivement débouché sur plus de bien-être matériel ainsi que sur des droits salariaux et civiques élargis.
Pour celles et ceux qui estiment devoir faire nombre contre les partisans de l’extrême-droite pour s’y opposer, c’est en se comptant que l’on combat. Pour se compter, il faut voter car lorsque l’on boycotte, on devient invisible. En ne votant pas, on aurait apporté de l’eau au moulin lepéniste.
Personnellement, je ne mets pas ces deux opinions sur le même plan. Je pense notamment que la première relève de l’illusion réformiste la plus complète, une illusion dont celles et ceux qui la pratiquent ne soupçonnent peut-être pas la gravité des conséquences. Je ne vais cependant pas reprendre ici la discussion ayant précédé le vote des européennes. Je vais d’autant moins procéder ainsi qu’en politique, les cas concrets sont très souvent plus compliqués que ce qu’indique la théorie.
Si, par exemple, la direction du PCF n’avait pas été une officine du réformisme, si elle n’avait pas choisi l’option de soutien institutionnel à l’Union européenne, une autre stratégie que le boycott aurait, peut-être, été envisageable sérieusement. Cela étant dit, au-delà des européennes, un phénomène tend à s’imposer, celui de l’abstention désormais majoritaire et croissante dans les scrutins nationaux. Dans la mesure où le vote est pour les communistes, non seulement la forme et le moyen de la démocratie, mais la contrainte qu’ils se donnent pour concevoir toute transition révolutionnaire, une nouvelle réflexion s’impose à son propos au vu du phénomène en extension de l’abstention. Dans un premier temps, je vais me demander ce que peut être le fétichisme du vote. Dans un deuxième temps, je vais chercher à savoir de quoi le vote est le fétiche. Que faut-il faire pour défétichiser le vote ?
Selon l’acception courante, un fétiche est un objet que celle ou celui qui l’utilise estime doté de pouvoirs métaphysiques. Le fétiche commanderait la réalité du monde visible. Le fétichisme est donc ce comportement qui consiste à considérer tel ou tel objet pour une image concentrée et efficiente de la réalité, sur laquelle on pourrait agir par son intermédiaire. On distingue différentes sortes de fétichismes. Le fétichisme désigne surtout le fétichisme sexuel. Un fétichiste est une personne exprimant alors sa relation avec une autre personne par le biais d’objets. Ainsi un fétichiste pourra-t-il trouver délicieux de respirer l’odeur des chaussettes de la personne désirée. Je ne suis pas psychiatre et mon entendement du phénomène est plus que réduit. Je crois cependant percevoir que le fétichisme repose sur une double méconnaissance.
En effet, si je respire une marchandise, en fermant les yeux cela va de soi, je vais renifler cette odeur dont Vespasien niait à tort l’existence, celle de l’argent. C’est cette odeur qui me parlera du travail et de son organisation sociale. Je confonds alors l’odeur de l’argent et le travail, ainsi que son organisation sociale. Mais comme je sais, au moins confusément, que l’on obtient d’autant plus d’argent que l’on obtient de travail, je ne vais considérer le travail que comme producteur d’argent. Je ne vais pas considérer le travail comme producteur d’enrichissement intellectuel, par exemple, parce que l’enrichissement intellectuel ne rapporte rien. Conformément à mon approche fétichiste du travail et de la société, je vais considérer que c’est l’argent qui organise, qui distribue, qui développe le travail dans la société, qui le fait en quelque sorte, et non l’inverse.
Le fétichisme du vote engendre lui aussi ce double malentendu, cette double négation de l’objet désiré, la démocratie. Avec le vote, l’odeur du bulletin de vote est confondue avec la démocratie au point que la démocratie n’est perçue que comme l’envers du vote. Démocratie et vote sont alors les deux faces de la même monnaie. Identifier la démocratie et le vote est sans doute l’une des façons de définir la démocratie bourgeoise, qui confond volontairement et absolument le pouvoir du peuple et le vote du peuple. Ainsi la Belgique est-elle supposée se trouver à la pointe de la démocratie dans la mesure où le vote y est obligatoire. En réalité, si la définition générale et abstraite de la démocratie occidentale est qu’elle est le pouvoir du peuple exercé par le peuple par le biais du vote, dans son formatage par la bourgeoisie, la démocratie est le vote du peuple pour que le pouvoir du peuple soit exercé par la bourgeoisie. Le vote n’est qu’une technique, un instrument, un objet en quelque sorte. Le fétichisme du vote est ce mécanisme social au terme duquel le moyen est confondu avec la fin, le vote avec la démocratie, la chaussette usagée avec la personne qui l’a portée, la valeur de la marchandise avec le travail et son organisation, qui sont à son origine. Or cette confusion s’accompagne d’importants subterfuges.
A cette étape du raisonnement, on comprend les raisons ayant pu conduire certains communistes à refuser de boycotter les élections européennes. Le vote est devenu un moyen extrêmement précieux que l’on doit défendre, protéger et utiliser quel que soit le système de relations à l’intérieur duquel il prend place.
Certes, le vote est un moyen très précieux de fonctionnement de la démocratie. Mais on ne peut isoler son usage de l’ensemble des relations dans lesquelles il fonctionne. Le vote n’a pas de sens isolément. Il n’a pas de sens, en lui même, indépendamment de ce pour quoi il est accompli et de ce dans quoi il est accompli. Si nous sommes devenus, nous, communistes (la plupart d’entre nous), des fétichistes du vote, cela signifie que nous ne voyons plus que le vote, quand il est question de démocratie, comme d’autres ne voient plus que l’argent quand il est question de marchandises. Peut-on accepter ce comportement ? D’où tire-t-il sa force ? Quel est son éventuel point faible ?
Le fétichisme du vote est une expression de la société bourgeoise qui, par l’intermédiaire notamment du marché capitaliste, produit l’individualisme extrême et l’individualisation tout aussi extrême des comportements de toutes sortes. Il a pour conséquence que l’on ne s’intéresse plus à ce pour quoi ou pour qui l’on vote. L’essentiel est de voter.
Dans cette société, au plan politique, l’individualisme est celui de la citoyenneté. Dire que, dans la société bourgeoise, je suis, en tant que citoyen, une partie prenante de cette société, signifie que le droit de vote, mais aussi le droit de ne pas voter, sont les attributs principaux de ma citoyenneté. Sans doute mon droit s’exerce-t-il à propos de problèmes et vise-t-il, grâce au résultat obtenu au terme de la consultation des votants, à en décider une solution. Car dans le droit de vote se rencontrent deux sphères, la sphère des individus individualisés, disposant du droit de vote, et la sphère des individus socialisés par le résultat de leurs votes.
Cela dit, la société bourgeoise, qui a aussi produit le libéralisme politique, ne prête pas trop d’attention à la socialisation des votants. Elle affirme que le centre de la vie politique est l’individu. Elle n’aime pas le concept de volonté générale. Elle est intrinsèquement favorable à une approche arithmétique de la collectivité et à une approche individualiste et individualisée de la démocratie.
La force du fétichisme du vote réside donc dans l’affirmation tonitruante de l’individu comme centre du monde. Je vote donc je suis politiquement, tel est le crédo cartésien de la citoyenneté bourgeoise. Cela se comprend d’autant mieux que les membres de la bourgeoisie possèdent bien autre chose que le droit de voter. Ils (elles) peuvent d’autant plus tranquillement affirmer que voter c’est être, qu’ils disposent de l’avoir. Mais qu’en est-il pour ceux (celles) qui n’ont rien ou pas grand-chose ?
Ce qui fait la force du fétichisme du vote (et cela d’autant plus que la démocratie bourgeoise reprend à son compte l’héritage culturel du monothéisme) en est aussi la faiblesse. Car voter, c’est sans doute bien, en tout cas dans notre système culturel, mais voter pour quoi ? pour qui ? pour quelles décisions ? pour quelles solutions quotidiennes et de moyen long terme ? Quand vous vous trouvez en situation extrême de danger social, quel sens peut avoir le vote sans les solutions à vos problèmes ?
S’interroger sur le droit de vote suppose nécessairement de s’interroger sur sa finalité, sur son aboutissement concret, sur le respect de ses indications par celles et ceux qui le mettent en œuvre, dans l’instant et dans le temps, sur sa contribution à la construction de la totalité sociale. Tout cela relève d’autre chose que de l’arithmétique d’une somme.
En réalité, dans la société française, le vote que nous connaissons a été associé à la construction industrielle de cette société, à ses conflits sociaux et à ses guerres. Le vote a donc participe, au milieu d’une lutte de classes sanglante et au sein de carnages divers, de la construction de l’État français moderne. Le vote a été associe à la formation achevée de la France en tant qu’État-Nation.
Une nation est, par définition, un assemblage composite de populations et de classes sociales qui, dans le capitalisme industriel, sont opposées de manière forte, antagonique. La nation française n’a donc pu s’affirmer comme ensemble humain stable que dans la mesure où l’État de la Nation ne fut pas seulement un État-Gendarme mais fut aussi un État-arbitre (une tradition très ancienne de l’État en France), un État organisateur, producteur et planificateur, finalement un État social, une construction beaucoup plus récente, amorcée cependant bien avant 1945. Sans État social, les classes dirigeantes de ce pays n’auraient pas obtenu la paix sociale relative dont elles avaient besoin pour reconstituer leurs forces.
Ce constat ne diminue en rien la qualité progressiste de cet État social. S’il fut installé, c’est que la bourgeoisie ne pouvait faire autrement et il ne le fut qu’en raison des luttes principalement menées jusqu’alors par la classe ouvrière et la petite paysannerie, lesquelles furent reprises en écho par le PCF de l’époque et finalement ponctuées par des votes.
Il n’est pas possible, en effet, de s’en tenir au fétichisme du vote pour comprendre le mouvement d’une société, sauf à en rechercher une image totalement idéologique et déformée, à la manière de ces politistes américains qui sont à la sociologie ce que les microéconomistes sont à l’économie politique. En France, c’est parce que les masses populaires n’ont pas été conquises par l’idéologie fétichiste du vote qu’elles ont réussi à imposer, par leur volonté générale, un État social.
Les sociétés ne résultent pas de l’addition de volontés individuelles. Ce sont des ensembles d’individus socialement structurés, répartis et organisés selon les rapports de propriété et de pouvoir qui y prévalent. Le fétichisme du vote, qui isole le vote individuel des rapports sociaux, et donc de l’élaboration sociale inévitable qui le précède et qui s’en suit, est une vision tronquée de la réalité politique. Je vote donc je suis, est une chose. Je suis, mais dans un ensemble social, politique, idéologique, culturel donné, et avec d’autres, en est le complément nécessaire.
L’existence des partis politiques est d’ailleurs la manifestation de cette complémentarité indispensable. De la même manière, les lobbies témoignent, à leur insu et négativement, de ce que le collectif existe. La présence de partis révolutionnaires au sein de ce magma multiforme quoique globalement orienté par les idéologies bourgeoises dominantes, est une exigence de la démocratie, au moins tout autant que le droit de vote. Grâce au fétichisme du vote, la classe dirigeante bourgeoise veut s’approprier à elle seule le droit de dire ce qu’est l’État de la Nation, de dire ce qui peut faire l’unité de la Nation.
La réponse à cette question est plutôt simple, au moins globalement. Lorsque l’État social a commencé à disparaitre au profit de l’État du Capital mondialisé, les masses populaires se sont de plus en plus retirées sur l’Aventin de l’abstention, lors des consultations électorales. Elles ont vu l’État Nation leur échapper. Elles ont vu s’échapper tant la Nation que l’État, c’est-à-dire pour elles, principalement, l’État social.
Lorsque la construction de l’Union européenne, promise par les idéologies centriste et social-démocrates françaises comme un havre de paix dans la tempête de la mondialisation capitaliste, s’est révélée n’être qu’un instrument économique du grand Capital d’Europe et d’Amérique, au détriment brutal des classes populaires, celles-ci se sont encore plus retirées dans l’abstention relativement au vote. Elles ont compris que leur vote ne servait plus a rien. Elles ont compris que les socialistes, supposés être leurs alliés naturels, n’étaient plus que des serviteurs du grand Capital mondialisé.
Le mouvement se poursuivra, cela ne fait aucun doute, car de nouvelles couches sociales, celles travaillant notamment dans la fonction publique, entrent dans la zone du doute et de la défiance à l’égard des forces politiques mondialistes.
De plus l’Europe n’est pas seulement la rationalisation par le grand Capital, de ses exigences et de ses lois économiques dans le cadre généralisé de la mondialisation capitaliste. Elle apparait aussi comme un instrument guerrier, fauteur de troubles et de désordres, étroitement dépendant de l’impérialisme américain.
Ce qui pourrait ralentir voire inverser ce mouvement, au moins pendant un temps, serait que les idéologies d’extrême-droite réussissent à redonner confiance à ces masses populaires abandonnées. Si les forces sociales d’extrême-droite savent dire aux couches populaires (ce qu’elles sont en train de faire en France) : "Si vous rejoignez notre combat, nous vous offrons la possibilité d’intervenir à nouveau dans votre destinée", ces dernières les suivront. Elles voteront pour elles. Que dis-je, elles votent pour elles en partie.
En effet, d’un côté, le grand Capital détruit à marche forcée, ce qui reste de l’État social. Ses forces motrices, à savoir les grandes entreprises multinationales, leurs managers et salariés de haut rang, les personnels de politiciens et d’experts qui organisent le monde à leur avantage, parodient Marx en évoquant le mouvement des forces productives.
Pour elles, la nation est un cadre économique et politique dépassé. Vigoureusement aidées par les socialistes français, ces forces motrices sillonnent le monde capitaliste, brisent les résistances ouvrières et salariales autant qu’elles le peuvent, absorbent les entreprises publiques, organisent leur propre financement, leurs recherches, leur commercialisation, leurs achats, à l’échelle mondiale tout en s’appuyant sur la monnaie américaine et son appareil financier, ouvrent de nouveaux marchés dans les pays émergents.
Certes, elles ont encore besoin des structures étatiques, mais pour leur service quasiment direct de police intérieure et extérieure, de prélèvements de valeur, d’arguments dans leurs affrontements réciproques. Dans ce but, elles ont sans doute encore besoin du vote des citoyens comme vote de légitimation de leur propre pouvoir.
Mais elles s’en préoccupent de moins en moins. La critique indirecte du fétichisme du vote que constitue l’abstention, bien que croissante, leur est indifférente. Car ce qu’elles construisent désormais, ce sont des bureaucraties mondiales en parallèle des États désocialisés existants.
Les bureaucraties étatiques qu’elles instaurent ou s’efforcent d’instaurer en remplacement des États sociaux et des États nations, sont de plus en plus éloignées de la décision des gens ordinaires. Elles sont donc de moins en moins susceptibles de concerner positivement les masses populaires, ce qui est à l’origine du phénomène abstentionniste.
L’idéologie et la pratique des forces motrices du Capital mondialisé, ne sont cependant plus celles de la citoyenneté. Ce sont celles de l’expertise savante et du sondage d’opinion. Désormais, l’abstention électorale n’est plus pour elles un problème. Je crois qu’elles s’en foutent. Le caractère mondial de leur engagement les autorise, estiment-elles sans doute, à sauter à pieds joints par dessus ce phénomène. Abstenez-vous, abstenez-vous, doivent-elles penser, nous n’en avons rien a cirer. Ce qui nous importe est d’être élus et réélus ad vitam aeternam, fut-ce par un très petit nombre, et de disposer d’une certaine légitimité dans l’arène mondiale. Car nous avons quand même besoin de nos États respectifs, ne serait ce que pour faire la guerre à nos ennemis, ou nous faire la guerre entre nous.
Le pire de la crise actuelle du vote est que l’abstention n’est même plus une menace.
C’est sur ce terrain que chasse l’extrême-droite. Elle ne chasse pas sur le terrain de la peur comme le répètent a satiété les imbéciles. Elle chasse sur le terrain de l’impuissance et de la colère. Évidemment, elle chasse avec ses propres canons idéologiques, avec ses propres finalités. Pour ces forces d’extrême-droite, la mondialisation existe d’abord et avant tout comme présence d’étrangers sur le sol national. Pour s’attaquer à la mondialisation, il faudrait s’attaquer aux étrangers. Stupidité. Pour s’attaquer à la mondialisation capitaliste, il faut s’attaquer en priorité au Capital, qui l’organise, qui en bénéficie, et à ses diverses manifestations. Les flux non contrôlés de main d’œuvre en sont un aspect, mais les flux non contrôlés des capitaux en sont un aspect beaucoup plus important.
L’extrême-droite est dangereuse car elle stoppe la progression des idées révolutionnaires, car elle est foncièrement hostile à la lutte des classes. Elle est prête, comme le montre l’expérience historique, à tous les compromis avec ceux qu’elle dénonce aujourd’hui, la bourgeoisie mondialisée, pour éviter que le peuple, dont elle suscite pourtant le mouvement, ne bascule dans la révolution.
Cela dit, dans le moment présent, une partie des masses populaires se déplace politiquement vers l’extrême-droite car celle ci développe une idéologie qui redonne un sens à la volonté générale.
Les partis qui devraient se situer à la pointe du combat progressiste sont, en France, incapables de donner un sens à la volonté générale, parce qu’ils sont opposés à l’option nationale qui pourtant ressort des aspirations populaires.
Le PCF notamment est devenu une officine de petits bourgeois mondialisés, habitués à prendre l’avion.
Les couches populaires n’ont pas l’habitude et les moyens d’assister à des réunions de cellule ou de se retrouver au bistrot, qui un jour à Porto Allègre, qui un autre jour à Bombay, qui un autre jour à San Francisco. Ce qu’elles connaissent est le territoire national. Elles ne sont pas stupides pour autant.
Mais les grands penseurs ont décidé que les forces productives avaient parlé. Les nations seraient obsolètes. Ce sont des ignorants. Ils confondent l’évolution économique (les forces productives) et ses conséquences politiques.
Au lieu de réfléchir à la coopération mondiale des nations existantes comme moyen politique de contrôler le mouvement des forces productives, ces intellectuels, leurs partis, soi-disant progressistes, se lancent dans des spéculations proudhoniennes de petits bourgeois réformistes, et pour certains d’entre eux, d’individus aux dents longues. Il faut, disent-ils, construire des États-nations supranationaux (comme par exemple l’Europe sociale) et ces États-nations nouveaux seront sauvés par le crédit (la réorganisation de la BCE comme point nodal de l’action révolutionnaire en Europe). Ils ont abandonné toute idéologie révolutionnaire nationale. Ils se pensent comme des appendices des mouvements sociaux. Ils appellent à voter, mais compte tenu des utopies pour le succès desquelles ils se démènent, qui peut les croire parmi les masses populaires ?
Loin d’exprimer une volonté générale susceptible de donner un élan révolutionnaire au combat pour les nations, ils ont choisi d’abandonner le drapeau national aux forces de l’extrême-droite. Simultanément, ils ont choisi d’abandonner toute ambition révolutionnaire.
Nous nous trouvons peut-être à ce moment particulier où se rencontreraient deux courants contraires, celui de l’abstention comme refus du fétichisme du vote et celui de la non abstention par choix de l’extrême-droite comme solution à la crise, comme nouveau sens à leur vote.
Comme je l’écrivais au début de ce texte, nous devons d’autant plus réfléchir au rôle du vote dans tout changement révolutionnaire, que le vote est aujourd’hui complètement dévalorisé aux yeux des masses populaires et peut-être en voie d’abandon par les classes capitalistes mondialisées.
Voici quelques éléments d’une conclusion partielle et momentanée. Le vote est une façon et seulement une façon de construire la volonté générale. D’autres pays, d’autres cultures favorisent le consensus plutôt que le vote. Cela dit. dans notre société, c’est la façon que nous connaissons et pratiquons le mieux. En outre, c’est une façon simple d’exprimer un choix.
Mais le vote n’a aucun sens s’il n’est pas étroitement associé à la construction d’une volonté générale. Un parti révolutionnaire demeure la condition de cette construction. D’autres institutions fonctionnant sur le mode du vote peuvent y contribuer, quoique de façon secondaire par rapport au parti révolutionnaire pour le changement de la société. Il parait clair enfin que la volonté générale ne se construit que dans un cadre territorial approprié, en l’occurrence le territoire national.
Aujourd’hui, le principal problème ne me semble plus être celui du fétichisme du vote, sauf chez des personnes très en retard de réflexion. L’abstention est une critique passive de cette caractéristique bourgeoise du vote. Mais le Capital mondialisé n’y fait plus attention. Le risque observable est que la critique active de cette évolution ne soit apportée par les idéologies d’extrême-droite sur un fondement national. Car les dirigeants communistes ont abandonné toute ambition nationale. Ils ont abandonné de construire, dans ce cadre, une volonté générale révolutionnaire, appuyée sur un parti révolutionnaire digne de ce nom.
Jean-Claude Delaunay (21 juin 2014)