Inconvénients des complots, inconvénients de leurs théories 9/08/2009
Piqûre de rappel au principe de réalité :
"Grand Soir" ayant publié un article qui répercute la légende urbaine "les Américains n'ont pas marchés sur la Lune" lire ici, je republie ce texte qui est à l'origine un post sur "Changement de société", le blog de Danielle Bleitrach lire la discussion ici, Publié le 7 août 2008, il est complété et modifié ici le 3 mars 2009.
Article d'actualité avec la sortie d'un nouveau film d'enquête sur la question du 11 septembre. Je ne sais pas s'il se borne à constater les incohérences de l'enquête et de ses conclusions ou s'il développe une ou plusieurs théories du complot mais s'il émane de "Reopen 911" on peut le redouter.
Précision : Lorsque je parle de "théorie du complot" ici je veux dire ici uniquement les hypothèses de terrorisme stratégique sous fausse bannière (c'est à dire quand une opération de grande ampleur est effectuée par une puissance politique ou militaire de manière à être attribuée à ses adversaires).
Pourquoi les théories du complot sont une perte de temps : je ne pense pas que la provocation puisse être utilisée pour fonder une stratégie politique, diplomatique ou militaire, même si elle elle fait partie des trucs tactiques les plus couramment utilisés. Je pense au contraire que les apparences publiques reflètent, avec un certaine imprécision, la réalité, dont elle sont d'ailleurs une dimension, et je suis certain que les interprétations "complotistes" sont fausses en règle générale. Par exemple : il est ridicule par exemple de considérer à la manière des situationnistes des années 1960 que les Américains et les Russes n'étaient ennemis qu'en apparence, pour le "Spectacle", et coopéraient en réalité. Pourtant on pourra toujours trouver des arguments et des apparences de preuve, puisque même les ennemis les plus acharnés, "coopèrent".
Un exemple français : Sarkozy, pour se faire élire a bénéficié des émeutes de novembre 2005 que son attitude provocatrice a contribué à aggraver. Or il lui aurait été tout a fait inutile de recourir à un complot pour les déclencher, et même inutilement risqué.
Dans le cas du 11 septembre, il faut bien se dire que les "Américains" savaient qu'un jour ou l'autre, face au scandale permanent du déni des droits des Palestiniens et du "deux poids deux mesures" dans le traitement du conflit israélo-arabe, un groupe hostile aux États-Unis originaire du monde arabe ou musulman commettrait une action qui pourrait être exploitée dans des opérations impérialistes contre les pays arabes et/ou musulmans. Inutile de le faire soi-même. Bien sûr le terrorisme sous fausse bannière existe, mais le risque impliqué pour les manipulateurs est grand, et c'est pourquoi il se développe rarement en opérations aussi compliquées que celles qu'il faudrait imaginer pour "mettre en scène" le 11 septembre. Il suffit de voir le prix payé par Aznar, non pour avoir placé les bombes de Madrid dans les trains de banlieue, mais pour avoir seulement tenté d'infléchir l'enquête vers l'ETA. Et pourtant, l'ETA, en Espagne, n'est vraiment pas populaire.
On ne peut évidement jamais affirmer avec certitude "qu'il n'y a pas eu complot", même face à un montage manifestement absurde, mais l'expérience finit par montrer qu'il n'y a pas beaucoup d'attentats sous fausse bannière en réalité. Par exemple, les attentats italiens (comme celui de la gare de Bologne en 1980) de la stratégie de tension qui ont certainement eu un effet politique important ne sont pas des complots sous fausse bannière. Ces attentats non revendiqués qui visaient délibérément la population civile, comme ceux du 11 septembre, étaient des attentats fascistes utilisant des méthodes fascistes, perpétrés par des fascistes qui ne les ont justement pas placées dans la foule d'un meeting du MSI ou à l'ambassade des États-Unis. Et inversement les théories qui veulent voir les Brigades Rouges qui commettaient des attentats ciblés dans la tradition de la lutte armée d'extrême gauche comme des agents des services secrets ne tiennent pas la route.
Exemple de véritable complot (source pas très secrète : "Monsieur X sur France Inter); en 1989, les services secrets tchèques décidèrent de faire tomber Husak, le dernier dirigeant communiste de la Tchécoslovaquie, et pour cela un de leurs agents joua le rôle d'un étudiant tué par la police. Ou le faux charnier de Timisoara, en Roumanie au même moment, utilisé pour légitimer l'exécution en direct de Ceaucescus devant les caméras de télévisions: ce qui frappe dans ces complots des services de l'Est, c'est l'économie de moyens, le faible nombre de complices, et l'immédiateté et la simplicité des buts.
Alors si un groupe de conspirateurs interne à l'administration ou à l'armée américaine s'était donné la peine d'organiser les attentats du 11 septembre, je crois qu'il aurait eu d'autres buts que simplement envahir l'Afghanistan et même l'Irak : attaquer immédiatement la Russie ou la Chine par exemple! Il faut une proportionnalité des profits aux investissements et au risque, dans la guerre secrète aussi.
L'inconvénient des théories du complot, outre qu'elles décrédibilisent ceux qui les propagent sur le reste de ce qu'ils disent, qui est souvent parfaitement exact, c'est qu'elles véhiculent une fascination contre-productive pour le pouvoir. Face à un tel ennemi, capable d'organiser des mises en scènes aussi spectaculaires, apte à tout contrôler en amont et en aval, on va se cacher dans son coin et on tremble, on se fait tout petit pour ne pas être écrasé par le plus froid des monstres froid comme Winston et Julia, les héros de Orwell en 1984 (ce roman de guerre froide qui est la bible de tous les ultragauchistes déconnectés de la pratique). L'ennemi est donc tout puissant? Il n'a pas de contradictions et celles qui paraissent dans les médias ne sont que des mises en scènes? C'est ennuyeux pour nous, communistes, car n'oublions pas que "notre base arrière, ce sont les contradictions de nos adversaires" (Mao Tsé Toung).
A la guerre (et il s'agit d'hypothétiques opérations de guerre) si j'en crois les ouvrages écrits par des maitres de stratégie, comme Clausewitz, le chef des opérations est tout le temps dans l'incertain, il avance dans le brouillard, il n'agit jamais à coup sûr. Il sait qu'il ne maîtrise pas tout. Il est donc très improbable qu'il se lance dans des complots compliqués, qui augmentent l'incertitude au delà de toute limite, qui dévorent le temps, les ressources, et le mettent à la merci de la moindre trahison. Mais des mensonges simples, ça oui, il en use et abuse, et ses subordonnés encore plus : les fascistes placent des bombes à la Banque de l'agriculture, à Milan, puis la police capture un anarchiste, on le torture, on le défenestre, et on lui fait porter le chapeau (Piazza Fontana 1969). Personne ne le croit, mais c'est utile car on a trouvé un coupable à jeter en pâture à l'opinion publique, et on peut dormir tranquille...
Les hypothèse de "Reopen 911″ outre qu'elles se contredisent entre elles sont donc en principe très improbables. Si improbables qu'il faut les considérer comme fausses. Encore plus fausses que la légende urbaine d'Apollo 11!
Mais le pire serait encore qu'elles soient vraie et que les efforts des militants qui cherchent à prouver l'implication de Bush et Co soient couronnés de succès! Car un "Wartergate" mondial de ce genre aboutirait, tout comme le Watergate d'origine, à l'exaltation de l'Amérique et au renforcement de son mythe démocratique, en tant que pays où la liberté de critique permettrait de remédier à tous les abus. Si j'étais paranoïaque, je dirais même : ils vont nous faire croire que Bush est derrière le 11 septembre pour nous faire croire en Obama! (je plaisante bien sûr).
Laissons le mot de la fin à la mémoire intemporelle du peuple: "On peut tromper quelqu'un tout le temps, tout le monde une fois, mais pas tout le monde tout le temps".
Et aussi, "La vérité finit toujours par sortir du puits".
GQ, 7 août 2008 1er mars 2009