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Réveil Communiste

Que faire de l'expérience historique accumulée lors des expériences socialistes? (Dépasser la démocratie bourgeoise - 1/12)

1 Octobre 2023 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Mille raisons de regretter l'URSS, #Qu'est-ce que la "gauche", #Front historique

Que faire de l'expérience historique accumulée lors des expériences socialistes? (Dépasser la démocratie bourgeoise - 1/12)

 Version  - très - actualisée et améliorée du texte de 2010    "Dépasser la démocratie bourgeoise"

 

1) Que faire de l’expérience politique accumulée au cours des tentatives de construction d'États socialistes au XXème siècle ?

Les États socialistes au XXème siècle ont rencontré un échec global, malgré quelques grandes victoires dont la moindre ne fut pas l’existence durable de sociétés socialistes sur une large part du globe pendant plusieurs décennies (la précédente expérience, la première, la Commune de Paris, n’avait duré que 62 jours à Paris en 1871). Aujourd’hui, l’opinion publique informée et déformée par la propagande des vainqueurs, c’est-à-dire des fervents du capitalisme, se retourne contre ces expériences en accusatrice : afin d’instaurer le communisme, règne de liberté et d’abondance, elles auraient imposé la servitude et la pénurie aux peuples ayant à subir cette malheureuse expérience.

Ce jugement sans nuance prend délibérément les choses par le mauvais bout. Il paraît impossible de changer le monde, c’est-à-dire son ordre social, sans recourir à un moment ou un autre à la force, les forces discrètes qui imposent le consentement n'étant pas les moins tyranniques et aucune force politique ou sociale ni aucun État ne se privant de la possibilité d’user de violence. On peut et on doit critiquer le socialisme réel de l’URSS et d’autres pays pour leurs échecs, par rapport à leurs buts, et on peut légitimement regretter les sacrifices consentis pour si peu de chose au bout du compte, pour en définitive revenir à Gorbatchev, Eltsine ou Vaclav Havel. On peut se dire que ça ne valait pas le coup. Mais le débat moral sur la violence en soi n’est qu’un habillage idéologique des prétentions des uns et des autres. Débat très pauvre qui tombe au niveau des querelles d’enfant : qui a commencé ?

Si on tient vraiment à le savoir, c’est hors de doute la guerre mondiale lancée par les bourgeoisies impérialistes d’Allemagne de France et de Grande Bretagne en 1914 qui a initié un processus catastrophique et incontrôlable de brutalisation des comportements et de démonétisation de la vie humaine - qui d'ailleurs se produisait sans masque aux colonies depuis leur conquête -  et qui a déchiré d’un coup le voile de Maïa « démocratique » qui dissimulait à la bourgeoisie progressiste la réalité la plus inhumaine de l’exploitation. Les exploités quant à eux n’avaient pas besoin de cette démonstration. L’expérience amère de la répression sanguinaire de la Commune de 1871 avait déjà convaincu la branche la plus déterminée du mouvement ouvrier de la nécessité de ne pas faire de cadeaux à la prochaine occasion. Parallèlement, le climat idéologique réactionnaire, clérical et nationaliste qui se développait depuis la fin du XIXème siècle indiquait une dérive antidémocratique de la bourgeoisie, provoquée par la crainte de la montée du socialisme et de la promotion des classes populaires. Certaines forces sociales influentes, comme l’Église catholique, ont joué un rôle très néfaste à cet égard.

Depuis la Révolution d’Octobre de 1917 le socialisme n’est plus une utopie abstraite dont on rêve confusément, mais une formation sociale originale qui a vraiment existé, entre autres lieux en URSS, qui existe encore à Cuba et en RPD de Corée, dans une certaine mesure en Chine, au Viet Nam, au Laos, et même au Venezuela, et qui peut être opposée et comparée au capitalisme. Nous disposons d’une expérience historique concrète, d’une ébauche en vraie grandeur du nouveau mode de production qui devrait normalement remplacer le capitalisme selon les thèses du matérialisme historique qui reste une théorie scientifique valable. La mise en place d’une société et d’une économie dirigée par les producteurs directs (ouvriers, paysans, salariés des services essentiels) n’est pas allée sans difficultés et les résultats se sont avérés souvent décevants du point de vue des révolutionnaires eux-mêmes, le seul qui compte, le jugement horrifié des classes propriétaires et intellectuelles dépossédées étant attendu et non pertinent. La difficulté à remplacer une classe dirigeante par une autre, puis à supprimer les classes, a sans doute été sous-estimée (Lénine commençait à bien mesurer l’ampleur de la tâche dès 1920 ), ainsi que la profondeur et l’enracinement de la résistance au changement, même après la défaite des forces politiques et économiques de la réaction capitaliste. La mentalité bourgeoise persiste par inertie culturelle longtemps après la révolution parmi les nouvelles élites sélectionnées pour gérer le socialisme, et éduquées largement suivant des canons culturels et des normes d’excellence développés auparavant par la bourgeoisie et les féodaux. Côté cours, la bureaucratie, côté jardin l’intelligentsia mais c’est du même édifice et de ses habitants qu’il s’agit, l’administration de l’État socialiste prolétarien. Il n’empêche que cette expérience défectueuse sur bien des points fut la première tentative de société prolétarienne viable de l’histoire de l’humanité. Des historiens anticommunistes ont voulu la discréditer en la qualifiant « d’utopie au pouvoir ». C’était justement sa force et sa grandeur.

C’est pourquoi on peut affirmer sans détour que l’avenir du mouvement doit partir de la critique de l’expérience du socialisme réel en évaluant correctement ses succès et ses échecs et non en pratiquant le retour à un communisme utopique imaginaire d’avant Marx et Lénine tels qu’en rêvent les communistes de la chaire, de Lucien Sève à Alain Badiou, et la plupart de ceux qui relèvent des différentes branches du trotskysme et de l’anarchisme.

Les porte-paroles intellectuels de la bourgeoisie ont tiré de cette critique du socialisme plusieurs conclusions défavorables qu’ils ont répandues dans le public comme si c’était des évidences incontestables : le socialisme comme système productif réel aurait été inefficace, il n’aurait pas permis la libération des forces créatrices aliénées dans le prolétariat. Celui des pays les plus développés n’aurait pas joué un rôle révolutionnaire décisif, et parviendrait-il enfin à jouer ce rôle, la question de la forme du nouveau pouvoir politique resterait ouverte comme au premier jour. En partant d’observations réalistes des difficultés du socialisme réel, on l’a comparé et jugé inférieur aux sociétés capitalistes contemporaines, en négligeant complètement le fait qu‘il s’agissait d’une expérience complètement inédite où les tâtonnements et les erreurs étaient inévitables, et que cette expérience s’est déroulée dans un monde systématiquement hostile dominé par des forces incarnées par des politiciens sans scrupules et intéressées au premier chef à sa perte.

Toute révolution doit s’attendre à rencontrer l’hostilité du monde d’avant, mais il n'empêche qu'on peut se demander de façon sans doute un peu trop naïve et empirique, pourquoi l’URSS n’est pas devenue « l’Amérique » du prolétariat mondial, la terre promise du socialisme, pourquoi n’a-t-elle pas su employer au profit de son développement et de la diffusion du socialisme l’extraordinaire courant de sympathie qu’elle a su se créer dans le prolétariat mondial ? Pourquoi le prolétariat vaincu en Occident n’a-t-il pas pu « voter avec ses pieds » ?  La rigidité de l’ordre politique socialiste l’a rendu inapte à saisir de nombreuses opportunités de progrès. Imaginons simplement que les savants allemands persécutés par le nazisme plutôt que les États-Unis aient choisi l’URSS comme terre d’exil !

Il est pourtant très significatif qu’un grand penseur conservateur et mystique comme le logicien et philosophe Wittgenstein, qui fut toute sa vie tourmenté par une sorte de culpabilité de classe, ait voulu y émigrer ! Et ils ont été nombreux à y songer. Tenter de développer des réponses à ces interrogations c’est se donner les moyens d’avancer à partir du socialisme réel vers la révolution réelle.

GQ. Revu et réécrit le 5 juin 2023

A suivre ... ici

 

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L
Bonjour.<br /> <br /> Merci de nouveau de nous proposer un article de qualité posant sans détours les vrais problèmes de l’impasse stratégique dans laquelle nous nous trouvons. Cela change des vagues incantations à un « socialisme du 21e siècle » dont on peine à discerner le contenu et les différences avec celui du XXe.<br /> <br /> Vous vous interrogez sur les raisons pour lesquelles « Les États socialistes au XXème siècle ont rencontré un échec global ». Et cela sans occulter les réussites incontestables (et pourtant souvent occultées comme vous le soulignez) de ces sociétés en termes de développement humain et productif.<br /> <br /> Au risque de me répéter par rapport à d’autres commentaires, à mon sens la raison fondamentale est que le prolétariat n’a pas les attributs d’une classe dominante (c’est le cas aussi de la paysannerie). Même de manière embryonnaire, cette classe ne dispose pas présentement de levier de puissance économique profondément diffusée en elle. Songez à la bourgeoisie par rapport à l’aristocratie, qui elle disposait avant de prendre le pouvoir politique de la puissance du capital.<br /> <br /> Dès lors si, par la volonté politique d’organisations nationales, le pouvoir parvient à être pris à la bourgeoisie, il en résulte que c’est une certaine « aristocratie ouvrière » qui occupe le pouvoir. Le salariat dans sa grande majorité délaissant l’espace politique pour retourner à ces petites affaires. Les dérives bureaucratiques constatées partout dans les pays socialistes ne sont dès lors pas loin…<br /> <br /> En d’autres termes, contrairement aux affirmations de Marx : Le prolétariat n’est pas la classe révolutionnaire dominante de la société succédant au capitalisme. C’est aussi ce constat qu’a fait Michel Clouscard.<br /> <br /> <br /> Vous vous interrogez par ailleurs sur l’incapacité des socialismes du XXe siècle à supplanter le capitalisme. La bureaucratisation évoquée ci-dessus en est une source évidente, dont il résulte une efficacité économique moindre. Simplement par manque de souplesse pourrait-on dire.<br /> <br /> Or, selon le matérialisme historique, une société ne peut succéder à une autre que si elle introduit concrètement, matériellement des rapports de production supérieurs. <br /> <br /> Vous poursuivez en vous interrogeant sur le manque d’attractivité de l’URSS pour les intellectuels allemands fuyant le nazisme. La raison fondamentale est celle explicitée ci-dessus. <br /> Cette raison se concrétisant pour cette couche petite bourgeoise en une quasi-impossibilité d’exprimer directement son ambition dans le cadre d’une société dominée par la bureaucratie issue de l’aristocratie ouvrière. Une ambition que les USA permettait d’exprimer, au moins en apparence, mais aussi dans la réalité.<br /> <br /> <br /> C’est ce cheminement, couplé à la lecture de « Refondation Progressiste » de Michel Clouscard, qui amène à considérer un modèle de société différent de l’impossible socialisme. Un modèle où il n’y aurait plus une seule classe dominante, mais 2 classes en coopération/opposition permanente. Je m’arrête là car je suis déjà bien long. <br /> <br /> Juste une remarque finale pour éclairer cette 4ème Voie. Alain Soral, qui lui aussi se réclame de Michel Clouscard, a pour slogan « réconcilier la droite des valeurs avec la gauche du travail ». 1P6R pourrait avoir pour ainsi dire un slogan inverse « concilier la droite du travail avec la gauche des valeurs ».<br /> <br /> A bientôt.<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> Luc Laforets<br /> www.1P6R.org
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L
A propos de la domination d’une classe sur la société, Gramsci a sans aucun doute raison. La classe ouvrière n’étant pas une classe apte à dominer la société, c’est fatalement une aristocratie qui l’exerce à sa place en cas de prise du pouvoir. Une aristocratie qui se bureaucratise inéluctablement et souvent irréversiblement car aucun contre-pouvoir endogène ne s’exerce efficacement à son égard (si c’était le cas une autre aristocratie remplacerait juste l’ancienne).<br /> <br /> D’ailleurs, ce phénomène de bureaucratisation touche également l’aristocratie prolétarienne avant la prise du pouvoir (Cf. Syndicats, Partis).<br /> <br /> Toutefois, cette impasse peut être contournée en acceptant le réel tel qu’il est. Et en se rendant compte qu’un autre modèle de société est possible dans lequel il n’y plus une classe dominante, mais 2 classes principales en coopération-opposition permanente. Dès lors, même bureaucratisées, les directions de ces classes ont un contre-pouvoir les empêchant de se scléroser, et par là même de scléroser la société tout entière.
L
C’est une erreur extrêmement fréquente à gauche que vous commettez aussi. Mettre toute la bourgeoisie dans le même sac. <br /> Le capitalisme est l’exercice du pouvoir par la haute bourgeoise. Mais il existe aussi la petite et moyenne bourgeoisie. <br /> Allez dire à un artisan, à petit commerçant, à de nombreux travailleurs indépendants (etc.) qu’ils ne travaillent pas ! Vous allez être bien reçu ! <br /> C’est un non-sens de dire cela, je pense que vous en conviendrez.<br /> Cette couche sociale représente de gros effectifs de la bourgeoisie.<br /> <br /> N’oubliez pas aussi que la théorie de la valeur-travail a été énoncée en premier par Adam Smith. Il n’était pas particulièrement un prolétaire, ni même un membre de l’aristocratie ouvrière.<br /> <br /> Entendons-nous bien. Je ne conteste en rien l’extorsion de la plus-value générée par le travail des salariées. Mais de là à affirmer que l’ensemble de la bourgeoisie n’a que des « valeurs » et est oisive, c’est faux.<br /> D’ailleurs, en parlant de « valeurs », remarquez bien que celle d’un Cohn-Bendit et d’un De Gaulle sont justes opposées. Tout mélanger ainsi, ne pas faire preuve de discernement ne nous rapproche pas d’un changement de système.
R
Non; Il y a d'un coté la gauche de la valeur-travail, de l'autre la gauche, la droite, le centre et le reste, des "valeurs" tout court.
R
Sur un point rapidement : comme dit Gramsci toute classe sociale domine par l'intermédiaire de ses intellectuels organiques et non directement (sauf dans le cas particulier de Macron, mais c'est mauvais signe pour la bourgeoisie).