Jouez hautbois, résonnez musettes: il est né le divin enfant. «Le Sauveur» de l'Europe, celui qui plonge ses pairs dans un «bain de jouvence collectif», si l'on en croit le clip halluciné réalisé par France Info pour introduire le Conseil européen des 22 et 23 juin. Les premiers pas d'Emmanuel Macron sur la scène européenne font également jaser d'aise Bernard Guetta, commentateur zélé de l'actualité européenne («ça bouge en Europe!» nous explique-t-il sur France Inter). Une fois n'est pas coutume, le grand connivent de référence se montre cette fois plus prudent. Le Monde concède en effet à la fin du sommet: «La méthode Macron a quand même buté sur la complexe réalité bruxelloise. Le président français (…) n'est pas parvenu à imposer complètement son point de vue sur les questions commerciales». Le contrôle des investissements chinois
Pas complètement? C'est le moins que l'on puisse dire. Sur la question du contrôle des acquisitions chinoises en Europe, Macron a fait un bide. Il s'est heurté à une levée de boucliers qui témoigne crûment de la rémanence d'intérêts nationaux contradictoires. Le Président français souhaitait que ces investissements soient «surveillés» par la Commission, de manière à éviter la prise de contrôle, par des firmes chinoises, de fleurons technologiques européens. Ils ne seront finalement «qu'analysés» comme l'indique la déclaration finale du Conseil datée en date du 23 juin. La même déclaration demande à la Commission de réfléchir à «des instruments de défense commerciale modernes» puis de veiller à leur mise en œuvre «par des mesures d'exécution non législatives». Sans disposition réglementaire en somme, sans encadrement ni contrainte. Par la magie donc? Par la télépathie ? Par la prière ?
Il faut dire que la France n'avait sur ce dossier que peu d'alliés. Un certain nombre de pays de l'Union sont traditionnellement libres-échangistes. L'Allemagne est ambivalente sur la question. Le montant total des investissements chinois y a été multiplié par dix en un an, passant de 1,2 milliards d'euros en 2015 à 11,4 milliards en 2016. De récentes affaires d'acquisitions symboliques y ont défrayé la chronique. C'est le cas par exemple de l'OPA lancée il y a un an par le groupe d'électroménager chinois Midea sur le fabricant de robots industriels Kuka. Berlin avait alors tout fait pour éviter ce rachat, appelant notamment de ses vœux une offre européenne alternative. En vain. Dans le même temps, la République fédérale est - au même titre que l'Empire du Milieu d'ailleurs - une économie mercantiliste, qui mise beaucoup sur ses exportations et sur son excédent courant. Dans ce cadre, elle ne peut se permettre de se brouiller avec Pékin, l'un de ses principaux partenaires commerciaux.
Car ne sont pas les pays d'Europe du Sud qui se substitueront à la Chine comme clients de l'économie germanique. Éreintés par des années d'austérité le Portugal, l'Espagne ou la Grèce ne consomment plus guère allemand. En revanche, ils ont besoin de l'argent chinois, qui pallie la réticence de la France et de l'Allemagne à investir massivement dans le redressement des économies périphériques depuis 2010. Ils font donc naturellement partie des pays qui se sont opposés au contrôle des acquisitions chinoises par Bruxelles. Certains pays sont carrément à vendre, à l'instar de la Grèce, tenue de privatiser à tour de bras dans le cadre du troisième mémorandum imposé à Alexis Tsipras en juillet 2015. Mais dès avant cela, le transporteur chinois Cosco s'était rendu propriétaire du port du Pirée, à Athènes. Ainsi, Emmanuel Macron l'aura peut-être appris la semaine dernière à ces dépens: la France ne peut pas se rendre complice, fût-ce en gardant le silence, du martyr austéritaire imposé aux pays méditerranéens de l'UE et espérer ensuite que ces pays fassent front commun avec elle lors des sommets européens...
Révision de la directive «travailleurs détachés»
La possibilité de mettre en place un Buy European Act c'est-à-dire des mesures de protectionnisme européen, n'est évoquée nulle part dans les conclusions du Conseil. C'était pourtant l'une des idées audacieuses de Macron durant sa campagne. Las, le vice-président de la Commission Jyrki Katainen avait déjà annoncé la couleur il y a quelques semaines, qualifiant l'idée de «solution de facilité d'inspiration populiste». N'est pas été évoquée non plus la révision de la directive «travailleurs détachés», pourtant objet d'une communication tapageuse de la part de l'Élysée, avec la mise en scène, notamment, de la rencontre de Macron avec les dirigeants du «groupe de Visegrad» (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie). Mais le «new boy», comme l'a qualifié Viktor Orban, avait auparavant commis une faute de goût. Deux jours avant ladite rencontre, il avait cru bon de tancer les pays d'Europe de l'Est sur la question des droits de l'homme dans un entretien fanfaron à plusieurs journaux européens.
Quoi qu'il en soit, et même sans cette entrée en matière cavalière, un accord des pays de Visegrad sur le durcissement des conditions de détachement des salariés eût été difficile à obtenir. Depuis l'élargissement à l'Est de 2004-2007, rapide, massif et réalisé sans les transferts budgétaires colossaux qui eussent été nécessaires pour atténuer l'énorme différentiel de coût salarial entre l'est et l'ouest, les pays d'Europe centrale vivent pour ainsi dire du dumping social. Le travail détaché n'en est d'ailleurs qu'une modalité presque anecdotique rapportée aux mouvements de personnes permis par le principe de la libre circulation de la main-d'œuvre dans le marché unique. Avec ou sans le travail détaché, des migrations économiques intra-européennes continueront donc de se produire, accentuant la divergence entre cœur et périphérie de l'Union (voir vidéo explicative ici). Or, le Conseil des 22 et 23 juin vient justement de «réaffirmer l'importance que revêt le bon fonctionnement du marché unique reposant sur ses quatre libertés». Notamment celle, donc, d'importer des travailleurs d'autres pays européens pour faire baisser le coût du travail chez soi.... «Grande avancée» de l'Europe de la Défense?
Au final, Emmanuel Macron n'a obtenu aucune avancée dans le domaine économique, non plus que dans le domaine de la révision des réglementations en vigueur. Dans une Europe conçue avant tout comme un ensemble économico-juridique, c'est pour le moins gênant.
Le serpent de mer qu'est l'Europe de la défense et qui n'intéresse guère que la France, seul pays à appeler réellement de ses vœux une Europe politique, peut-il suffire? On peut en douter si l'on considère que les «grandes avancées» du sommet sur ce point n'ont consisté qu'à reprendre la proposition formulée en septembre 2016 par Jean-Claude Juncker de créer un Fonds européen de défense susceptible de mobiliser jusqu'à 5,5 milliards d'euros par an (soit 0,04 % du PIB européen)... à l'horizon 2020! Pas de quoi gagner une guerre, mais puisqu'on nous assure que «L'Europe, c'est la paix»...