Que faire aux élections européennes en 2024 ? combattre l'Union européenne !
Qu’est-ce que l’Union Européenne (UE) ?
Article publié en 2017 et mis à jour
L’UE est un processus historique délibérément très lent dont la limite asymptotique est la formation des « États-Unis d’Europe », grand empire capitaliste continental, à tendance de plus en plus oligarchique, sur le modèle réalisé outre-Atlantique, processus dont les peuples concernés ne veulent pas, et dont il s’agit de contourner patiemment la volonté. Mais c’est aussi un processus impossible à mener à terme, parce que l’agenceur de la construction européenne depuis 1948, l’allié américain, qui prend aussi en charge la défense militaire de l’UE, ne veut pas le voir complètement aboutir, car il se satisfait de la satellisation actuelle du continent européen. L'Europe est donc le lieu où on débat de la meilleure formule pour sauver le capitalisme, sans pouvoir jamais conclure.
L’UE est aussi une force expansionniste dans la mesure où l’impérialisme états-unien et le néo-impérialisme allemand qui pousse son dernier couac peuvent se concilier un moment, contre la Russie ou le monde arabo-musulman.
Il y a plusieurs forces nationales, politiques et culturelles européennes qui veulent voir aboutir le projet d’une Europe fédérale: l’Allemagne (et de par l’influence historique du SPD, une partie de la social démocratie européenne) et l’Église catholique qui vise à une longue influence politique future dans un ensemble politique où elle serait, théoriquement, majoritaire, et pendant longtemps une force extérieure non négligeable, la Chine, ou certains secteurs en Chine, qui cherchaient ainsi à dissocier en deux morceaux le bloc occidental de plus en plus menaçant.
Il y a d’autres forces qui veulent immobiliser le statu quo d’une zone de libre échange en déclin économique sous protectorat américain : l’allié et patron états-unien, la bourgeoisie parisienne, les élites de la Grande Bretagne [ où les contradictions internes ont fini par devenir insupportables] , les multinationales du Net et de la finance, parce que cette conjoncture prolongée leur permet de s'approprier une plus grosse part du gâteau.
La petite bourgeoisie de part en part du continent est globalement européiste, par conformisme idéologique, sans bien voir ce clivage.
Les classes populaires sont globalement anti UE car elles ont compris depuis longtemps que l’UE n’est rien d’autre que le nom de marketing du capitalisme du futur, qui ne leur promet en fin de compte que le chômage et l'anomie, non sans verser parfois dans la nostalgie du capitalisme national révolu de l'époque de la Libération.
Le Brexit a ouvert la contradiction antagonique entre les deux forces européistes qui représentent deux projets d’avenir différents pour le capitalisme. Ces deux projets sont également dangereux et la tension entre les deux conduit à la surenchère belliciste qui a aboutit à la guerre d'Ukraine. Car qu’on veuille une Europe allemande ou américaine, elle sera certainement anti-russe.
Pourquoi quitter l’UE ?
- Pour des raisons de démocratie
L’UE est un pouvoir politique qui surplombe les institutions nationales de ses pays membres, et qui se trouve entre les mains de personnalités et d’institutions non élues, ou quand elles le sont, non responsables. La logique même de la construction consiste à limiter au maximum l’incidence du suffrage universel. Un des modèles historiques tirés du passé qui peut resservir à penser cette démocratie très limitée est l’Empire austro-hongrois disparu en 1919, qu’on nommait avec raison « la prison des peuples ».
- Pour des raisons de souveraineté populaire
Les États membres abandonnent par pans entiers leur indépendance, et perdent leur autonomie en matière de politique économique, budgétaire, monétaire, mais aussi sur le plan de la politique étrangère, et de la défense. A quoi sert dans ces conditions de voter pour des élus qui devront rendre compte en plus haut lieu, à Bruxelles ou à Francfort ?
- Pour des raisons économiques
Le projet économique européen fixé par l’Allemagne est un projet libéral contrôlé, avec monnaie forte, parce que ce choix monétaire favorise les propriétaires au détriment des travailleurs. Il abouti à une désindustrialisation dans tous les autres pays qui y sont associés. A ce projet se superpose la politique globaliste de dérégulation financière qui a les faveurs de la Commission, qui est totalement perméable au lobbying des multinationales. Ces deux politiques également nocives pour l’emploi deviennent catastrophiques pour les travailleurs quand on cherche à les mettre en pratique simultanément. La crise du Covid comme celle des Subprime, puis la guerre ukrainienne ont par ailleurs poussé à l'émission de quantité folles de monnaie, impensables en temps normal, qui ont servi principalement à soutenir les cours des actions, et qui sont insoutenables à moyen terme.
- Pour des raisons sociales
Ces deux projets sont également producteurs d’inégalité et de précarité, le premier étant favorable à une institutionnalisation de la pauvreté, et le second à une spécialisation parasitaire de l’économie dans la division du travail internationale (finance, marketing, spectacle, idéologie) qui ne propose aux classes populaires que des emplois de service déqualifiés.
- Pour des raisons patriotiques élémentaires
L’identité psychique élémentaire des individus vivants, dans la mesure où elle excède celle de simples consommateurs de marchandises, est structurée par leur appartenance nationale. L’Europe est même le continent le plus clivé sur ce plan. La disparition des patries européennes signifiera la mise au rancard de peuples entiers et notamment des classes populaires, ceux qui ne possédant rien possédant au moins leur pays. Sans elles, il n’y a plus aucune intégration à rien d’autre qu'au discours de marketing propagateur de la marchandise globale, et cela pour les immigrés comme pour les autochtones, et aux communautarismes identitaires religieux, sexuels, ou ethniques.
- Pour la Paix
Le projet européen peut bien se faire passer pour la paix éternelle entre la France et l’Allemagne, il signifie bel et bien une attitude fermée et hostile envers les autres continents et la Russie, un déplacement et un renforcement des barbelés, et une sorte de mise en commun de l’impérialisme et de ses guerres. La guerre exclue de l’intérieur rejaillit aux frontières, et en des opérations néocoloniales qui prennent prétexte des « valeurs » universelles telles les "droits de l'homme" qui sont appropriées sans vergogne comme patrimoine européen quasi-national.
- Parce que l’Europe en fait n’existe pas en tant que puissance souveraine : c’est l’appendice de l’Occident anglo-saxon, dominé par les États-Unis.
Le monde actuel est dominé par une structure impériale en emboitement : les États-Unis d’Amérique et leurs multinationales de la finance, du pétrole et du Net, les pays anglo-saxons homogènes culturellement aux États-Unis et "junior-partners" qui servent d’amplificateur à leur influence mondiale (Grande Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, et Israël qui s'est fondu dans cet ensemble), la zone satellisée de l’Union européenne, et les pétromonarchies du Golfe, sans parler de la classe dirigeante acculturée des écoles de commerce et des pensionnats de luxe partout dans le monde. L’UE n’est qu’une pièce rapportée de cette structure dont les ambitions sont dépassées par rapport au processus de domination globale à l’œuvre dans le monde.
Pourquoi ne quitte-t-on pas l’UE puisque tout ce qui précède est bien connu ?
Quelques réponses possibles en vrac ...
Quitter l’UE comme toute lutte a un coût que le public atomisé et timide actuel redoute d'avoir à payer. D’autant que les défenseurs de l’Europe ne masquent pas leur volonté d’exercer des représailles en un tel cas.
Il existe une très forte propagande pro-UE, activée par des forces idéologiques convergentes et influentes (social-démocratie, libéralisme, anarcho-libertairianisme, christianisme social, gauchisme néo-soixante-huitard), active dès la rédaction des programmes scolaires, et bénéficiant d’une quasi unanimité dans les médias de masse. Cette propagande procède par confusion, répétition, diabolisation du camp adverse et amalgames pour intimider les hérétiques.
L'Europe se moque des principes élémentaires de la démocratie et de la souveraineté du peuple, mais existe-t-il encore dans l'univers consumériste occidental des "citoyens" au sens originaire du terme? des gens prêts à se battre jusqu'au bout pour ces "valeurs"? Les adversaires de la tyrannie européistes parlent beaucoup mais font fort peu de choses. Tout se passe comme si ces idéaux étaient déjà morts, n'étaient plus que des grands mots. Dans la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, le patriotisme est mort et bien mort.
L’Europe est une tyrannie « non-létale », les forces de répression policières, militaires, et les services secrets agissant (encore) dans un cadre national. De ce fait elle ne paye pas le coût politique de la répression. Cela dit, en prenant la tête de la campagne anti-russe en Ukraine par une sorte de coup d'État institutionnel, elle s'expose sur ce plan.
L’UE est un facteur de corruption de la vie politique de ses pays membres : subventions, ONG crées de toute pièce, aides ciblées permettent de favoriser systématiquement les partisans de l’UE et de confiner petit à petit ses adversaires dans la marge du politique et dans l’inefficacité.
Le patriotisme est mort, mais on adhère à l’UE avec une sorte de « néonationalisme » honteux, par nostalgie de puissance, en un sentiment formé par le résidu des différents romans nationaux élaborés au XIXème siècle et enseignés à l’école jusqu’aux années 1970. On veut participer d’une grande histoire, d’une grande puissance ! La France et l’Allemagne opiniâtrement poursuivent sous le masque européen depuis 1940/45 la vaine tâche de reconstituer leur stature mondiale perdue.
Il existe un inconscient colonial et raciste à l’œuvre dans le projet européen qui reste prégnant - celui du "jardin" contre la "jungle" comme l'a candidement exprimé Josef Borell -, et qui ne fait que s'approfondir et s'aggraver avec les postures de repentances qui consistent en réalité à recruter de nouveaux tirailleurs idéologiques au service de la suprématie occidentale. Se reconnaître dans l’Europe, c’est qu’on le veuille ou non se reconnaître dans le continent des blancs, des chrétiens et des impérialistes qui s’est défini historiquement contre l’Afrique, L’Asie, l’Islam et la Russie.
L’alternance politique sanctuarise le projet européen : les mécontents sont invités à se prononcer à chaque élection pour une alternative tout aussi pro-UE que le pouvoir sortant. Le débat politique sur cette question centrale est complètement verrouillé.
Le mythe de l’Europe sociale mystifie certains opposants qui ne sont radicaux qu'en paroles : ils veulent employer les mêmes moyens bureaucratiques qui sont utilisés pour imposer les normes du libéralisme économique, pour une massive redistribution des revenus à l’échelle du continent. Mais si par extraordinaire des sociaux-démocrates keynésiens redistributeurs et résolus (?) prenaient le pouvoir simultanément dans plusieurs pays et surtout dans les deux pays clés (la France et l’Allemagne), ils seraient obligés de quitter l’UE pour appliquer leur programme qui heurte de front les Institutions telles qu’elles fonctionnent au régime du Traité de Lisbonne (2008), et qui ne sont pas réformables : pour modifier une disposition, il faut obtenir l’unanimité des 27 pays membres ce qui est en pratique impossible. L’Europe sociale n’est donc rien de mieux qu’une promesse électorale pour éternels opposants.
Mais le plus décisif est ceci : les adversaires de l'UE qui sont tendanciellement majoritaires, sont divisés en deux camps politiques irréconciliables, placés à l’extrême droite et à l’extrême gauche du champ politique. Bien que ces « extrêmes » ne le soient guère que par les arrières-pensées qu'on leur prête, et qu'ils ne soient que de pâles caricatures de leurs prédécesseurs du XXème siècle, dans les faits aucun compromis ni aucune alliance n'est possible entre les deux camps sous peine de désintégration réciproque, et c'est bien là la pièce clef du dispositif qui sanctuarise l'UE. La seule sortie de cette difficulté passerait par la reconquête hégémonique du camp anti-UE par le champ politique influencé par le marxisme, l’extrême droite ne fonctionnant que comme leurre-épouvantail inconsistant, abandonnant instantanément ses objectifs une fois au pouvoir, comme on le voit en Italie - n’aboutissant qu’à consolider le pouvoir du bloc central européiste. Mais la gauche ouvrière ne pourra repousser l'influence de l’extrême droite qu’en reprenant à son compte les revendications populaires que celle-ci s’est appropriée - lutte contre l'insécurité, l'immigration, l’assistanat - et en rompant ses attaches idéologiques avec le libéralisme moral et global.
Fondamentalement ce qu’on appelle « l'Europe » représente le projet écœurant d’universaliser l’individualisme de masse, de répandre partout un discours consensuel factice lénifiant et endormeur, et de détruire toute forme de résistance sociale ou culturelle à l’uniformisation du monde sous le contrôle des trusts du Net et de la finance. Tout esprit épris de liberté doit la vomir. Abattre cette tyrannie rosâtre et qui en Ukraine est devenue létale est une aventure ouverte aux nouvelles générations, aux jeunes de toute origine et de tous les pays européens, c’est un projet à la mesure de notre temps, pour reconquérir la dignité et la liberté des peuples et le droit de replacer l'égalité et le droit au travail à la base de la société.
Mais ce ne sera pas une affaire tranquille et facile, et il faudra de nouveau que les aspirants au changement social acceptent de résider et de se compromettre avec le négatif. En castillan, "comprometido" veut dire tout simplement "engagé".
Ce qui précède permet de conclure qu'en ce qui concerne les prétendues élections européennes prévues en 2024, il est exclu de leur donner la moindre crédibilité en y participant !
GQ, 26 mai 2017, relu et modifié le 24 décembre 2023 et le 5 mai 2024