Idéologie et lutte des classes aujourd'hui. Comment se démarquer du discours éthique de la bourgeoisie
Suite de discussion, extrait, réponse de Gilbert Rémond à GQ : Question aux militants ouvriers et anti_impérialistes (version augmentée sur RC)
29 juillet 2016
bonjour à tous
Je trouve en effet Gilles qu'une différence de traitement existait entre les années trente et les trente dernières années que nous venons de traverser dans le positionnement politique de la bourgeoise, sa physionomie et ses comportements éthiques, ce dernier mot et son utilisation étant en soi tout un programme .
Une de ses caractéristiques en tant que classe propriétaire des moyens de production et donc comme bénéficiaire des profits capitalistes réside dans sa formidable capacité d'adaptation aux situations et dans la manière dont elle organise une récupération idéologique du tout venant pour maintenir sa domination. La superstructure a cette fonction.
Si l'État lui donne les moyens de ce que l'on désigne sous la forme du régalien c'est à dire les outils de l'appareil répressif: l'armée, la police, la justice, elle a aussi, comme le détaillait avec beaucoup de science Louis Althusser dans Positions, à sa disposition des appareils idéologiques : le droit, la presse, l'Église (et disons les religions en général) bref tout ce qui se regroupe sous le terme "idéologie" et qui pour nous marxistes a un sens bien particulier. L'idéologie désigne selon nos références toute formation destinée à masquer la véritable nature des rapports sociaux.
Elle est un terrain aujourd'hui particulièrement investi par la lutte des classes. Nous l'appelions avant le grand tournant social-démocrate, lutte idéologique. Il s'agissait de conduire une lutte qui était partie intégrante du combat de classe. Je ne crois pas que les situations économiques créent des formes a priori pour que les idées surgissent telles-qu'elles, pour qu'elles nous parviennent et que nous les connaissions. Il me semble que dans ce domaine il faut remettre les choses à l'endroit comme nous l'indiquait Marx avec son concept d’infrastructure économique. Il n'y a pas intention mais conséquence.
Si les situations économiques sont bien issues de la base économique et de ses pratiques, elles n'ont pas comme présupposé les formations idéologiques, celle-ci viennent après, sont produites de surcroit, comme l'expliquait Lacan à propos de la psychanalyse en tant que méthode de la connaissance de soi, en tant que processus issue du transfert, avant parler des effet psycho-thérapeutiques de cette dernière. Mais elles sont à l'écoute des phénomènes qu'elles créent. Les sciences sociales lui servent à cela et elles les utilisent à bon escient en tant qu'instruments privilégiés de leur pouvoir, tant que fonctionnent tous les artifices qui lui permettent de le masquer. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvions agréer totalement aux explications de la sociologie que nous classions à juste titre dans la catégorie des sciences bourgeoises, avant que ne survienne la mode des sociologues, supports inséparables des théories dites "néo libérales".
D'ailleurs nous pouvons dans l'élan qu'est le tien les rajouter à la liste que tu as dressée, parce que sans eux et leurs travaux le mécanisme d'exercice du pouvoir que tu mets à jour n'aurait pas de fondement pour fonctionner. Marx n'était ni philosophe, ni sociologue, ni économiste, il était tout cela à la fois, mais avant tout matérialiste et se servant de cet outil et de la dialectique, c'est à dire qu'en partant des luttes et de l'observation historique, il produisait la critique de ces disciplines et de leur contenu en vue de la transformation du monde, c'est à dire fondamentalement d'un changement de mode de production, ce qui suppose nous disait-il de ne plus interpréter le monde, de ne plus être dans le discours.
En effet poser la question de la révolution c'est d'abord et avant tout sortir des postures politiciennes et des bavardages, c'est passer résolument dans le champ des pratiques et donc de la lutte de classe. Les militants ne se trouvent plus en porte à faux dès l'instant qu'ils se retrouvent dans le concret face à la contradiction principale. Tout de suite les choses s'éclairent et les faux prophètes ont tôt fait de tomber leurs masques. Les divisions n'ont rien de fictif, elles se font ressentir sur le terrain ainsi que leur nécessaire remède, l'unité. Les travailleurs ont un besoin vital de l'unité, ils le comprennent vite et les luttes en sont l'inconditionnel révélateur. Elles sont aussi celui des opportunistes et des renégats. Les révolutions ont toujours été des moments de clarification, elles sont par définition celui où s'éprouvent les contradictions, où elles s'aiguisent. De ce point de vue des luttes comme celle contre la loi du travail sont des contributions importantes, parfois décisives, à l'élucidation de la zone de conflit. Elles peuvent aussi être des moments charnières du niveau des luttes de classe et de ce point de vue nous pouvons observer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne plus.
Je pense que les quatre mois de lutte que nous venons de connaitre ensemble ont rebattu les cartes, qu'eux même sont le résultat d'un processus qui est au travail depuis plusieurs années, qui est une accumulation de faits et d'expériences qui vécues ensemble ont produit un changement qualitatif des perceptions et donc dans la conscience: guerres d’Irak sur la nature impérialiste de nos sociétés, crise financière de 2008 pour la validité du libéralisme, licenciement économiques massifs et fermetures d'entreprises saines pour ce qui est de la nature du mode de production capitaliste, élection de Hollande et trahison de la parole présidentielle pour ce qui concerne la crise de la gauche et du politique, mouvement des retraites puis de la loi Khomry pour ce qui concerne le syndicalisme et la conscience de classe. Tout cela du coup nous donne une légitimité et une responsabilité nouvelle mais la première conséquence, nous pouvons l'observer, c'est la mise en défaut de la stratégie social-démocrate et de ses épiphénomènes gauchistes.
Tout cela pour dire que nous ne sommes plus dans le même paysage politique et que c'est bien cette mutation en cours que vient sanctionner l'état d'urgence. La social-démocratie est grillée et sa stratégie aussi. Le changement de paradigme est en train de s’opérer sous nos yeux à l'intérieur même du dispositif politique qui servait de leurre. Valls en est la lettre et la clef. Je pense qu'en effet nous allons vers un durcissement de l'affrontement de classe, vers une radicalisation des postures et des pratiques, ce dont témoigne d'ailleurs la vague d’attentats de ces dernières semaine et le débat politiques qu'ils occasionnent. Les militants ne seront plus en porte à faux par rapport à des valeurs et des positionnement éthiques multi cartes c'est a dire réversibles mais par rapport à leur positionnement de classe. Pour autant nous allons devoir clarifier à l'intérieur de ces positionnements ceux de nos valeurs et de ce point de vue le racisme, le chauvinisme et le nationalisme ( je ne parle pas du patriotisme mais de son opposé) devront être dénoncés et combattus. Très vite nous verrons qui est qui, car chacun reprendra sa place selon sa nature de classe. D'ailleurs n'en voyons nous pas dès maintenant poindre les prémisses quand les lignes se confondent et ne permettent plus de distinguer la droite de la gauche. Il me semble que sur ce dernier point le peuple en a une conscience assez nette, raison pour laquelle augmente le taux de l'abstention populaire à chaque nouvelle élection.
Enfin je voulais exprimer mon accord avec le nouveau développement apporté par J. , je pense qu'en effet nous devons reprendre les idées justes et combattre les idées fausses en les décortiquant et en expliquant leur genèse. Il y a un enjeux fort entre une conception que je dirais mécaniste et une conception dialectique qui tient compte des différents niveaux de développement et d'expression des contradictions. Nous avions eu entre temps un échange où d'autres éléments avait été abordés qui tenaient d'avantage compte de ces problématiques et allaient d'avantage au fond des choses, j'en retrouve ici la trace et l'esprit.
Fraternellement
Gilbert Remond