La République des Canuts, une page d’histoire du combat ouvrier
17 Juin 2015 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Front historique, #Art et culture révolutionnaires
Signalé par Pascal Bavencove
Historien Pierre Serna
Jeudi, 11 Juin, 2015
L'Humanité
Le Linceul du vieux monde, la Révolte des Canuts, de Christophe Girard. Entre le 23 novembre et le 3 décembre 1831 à Lyon, la révolte des tisseurs (dévideurs, lisseurs, ourdisseurs, plieurs, teinturiers) et la masse des femmes ouvrières et des enfants innombrables font vaciller l’ordre établi. C’est le récit de la remarquable trilogie dessinée par Chistophe Girard.
Que s’est-il passé à Lyon, à la fin du mois de novembre 1831 ? Que s’est-il passé dans le quartier de la Guillotière ? Un monde ancien se termine, un monde nouveau émerge. La trilogie publiée aux éditions Les Enfants rouges raconte l’histoire d’un combat, d’une lutte, d’un espoir et d’un échec, empli de promesses. Cette enquête magistrale menée de façon remarquable par Christophe Girard, tout au long des trois volumes, raconte la révolte des Canuts, ces femmes et ces hommes dont le métier est de tisser les beaux habits de soie pour les gens d’Église, pour ceux qui gouvernent, pour ceux qui commandent, pour les bourgeois qui dirigent la capitale française de l’industrie textile de luxe.
Une pyramide sociale impitoyable
D’emblée, le décor est planté dans la ville surnommée aussi « la grande fabrique » depuis que François Ier donna autorisation d’ouvrir les ateliers en 1536. Trois siècles plus tard, une pyramide sociale impitoyable régit la ville, avec à sa tête ses 400 négociants, puis les 8 000 chefs d’atelier, propriétaires d’un ou de plusieurs métiers. Suivent les 40 000 compagnons ouvriers et apprentis qui ne possèdent que leurs bras. Au bas de l’échelle sociale, l’armée des dévideurs, des lisseurs, des ourdisseurs, des plieurs, des teinturiers et la masse anonyme des femmes ouvrières et des enfants innombrables. Ce monde de peine, de labeur, de durs au mal et de silencieuses à la tâche a ses codes, plus que cela, il possède sa dignité et tout simplement sa raison d’être : gagner son pain par son travail. Le système repose sur un fonctionnement simple : les négociants achètent la matière première, les chefs d’atelier la font travailler par les ouvriers qui revendent les pièces de soie. Le risque est minime, le profit maximal, car l’écart entre la matière première et le travail fait est toujours réduit, rendant le travail toujours moins rémunéré, et enflant la misère des canuts. Le profit n’est jamais suffisant et, le 10 octobre 1831, un nouveau tarif encore plus inique que les précédents, imposé par la commission des fabricants, devient insupportable pour une population sans cesse plus précarisée, avec son cortège de fléaux, alcoolisme, délinquance juvénile, désespoir et suicide des adultes.
La révolte gronde. Le scénario est lancé et l’histoire sera observée à travers le regard de deux hommes, Anselme Petetin, directeur du Précurseur, et Jules Favre, avocat à Lyon. Mais cette épopée dessinée en noir et blanc, car c’en est une, met en scène et en lumière tous les acteurs, généraux, ministres, maire, préfet, policiers, et surtout les anonymes, qui, sous le crayon de Girard, retrouvent un visage, une humanité, les femmes du peuple, la jeune prostituée ouvrière, les époux Mourguet et leur Guignol de bois ; Lacombe, maire de quelques heures ; le général des Révoltés, Buisson ; Romand, l’inventeur de la devise des canuts : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » , et tant d’autres, héros d’une semaine. Précise, l’action haletante, car suivie quasiment heure par heure, se déroule entre la matinée du 21 novembre, plateau de la Croix-Rousse, où les hommes excédés se réunissent et décident de leur action, une manifestation qui se transforme en révolte, puis en prise du pouvoir, et en République des Canuts, et le 3 décembre, lorsque le duc d’Orléans dépêché par Louis Philippe à la tête des troupes reprend la ville pour y imposer l’ordre royal, bourgeois et policier.
Une forme politique s’est affirmée
Entre ces deux dates, plus qu’un rêve ou une utopie, une forme politique s’est affirmée sous la forme d’un combat victorieux, puis d’une organisation qui pose les fondements d’une République associative, mutuelliste, lorsque les autorités ont quitté la ville le 23 novembre. Comme à regret le procureur général Duplan écrit au gardien des Sceaux que l’insurrection est somme toute pacifique et les biens respectés, comme si révolte devait rimer avec destruction, comme si le peuple se devait d’être « sauvage » (sic). Las, l’hétérogénéité de la coalition, des meneurs ouvriers aux bonapartistes, des républicains démocrates aux modérés apeurés, fait échouer la République éphémère. Une promesse, non tenue par la suite, de revenir au tarif ancien, la division et la trahison finissent par désarmer les ouvriers devenus leur maître, le temps de deux semaines.
À la fin les ouvriers perdent… mais qui dit que le combat est fini ? Qui dit que le combat de 1831 n’est pas d’actualité en 2015 ? La bande dessinée, paraît-il art mineur, est ici une arme politique. Plus, même, à ce niveau de fusion entre rigueur de l’enquête et puissance onirique, elle est un art qui rend toute sa dignité aux combats du passé, à ceux à venir ! Il faut rendre hommage au courage des éditions Les Enfants rouges qui ont su offrir la place d’un long récit à Christophe Girard, car l’histoire est toujours complexe et ne saurait se raconter en un « one shot », comme on dit dans l’industrie de la bande dessinée. Il faut saluer également l’audace de l’auteur qui livre, avec justesse et force, une authentique page d’histoire ouvrière. À n’en pas douter, la trilogie de Girard fera date dans la bande dessinée d’histoire. Revient en mémoire cette phrase magnifique d’un enfant blessé : « J’ai révolutionné. »
Le Linceul du vieux monde, la Révolte des Canuts, de Christophe Girard. Les trois tomes sont parus aux éditions Les Enfants rouges.
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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