L'Église catholique n'a pas gardé le silence pendant l'occupation (contrairement à ce qu'on dit)
Lu sur le blog de Floréal, signalé par Pascal Bavencove
Un silence fracassant
Cet article, paru au début de l’année 2002 dans « Le Monde libertaire », fut rédigé à l’occasion de la demande d’interdiction, formulée par la haute hiérarchie de l’Eglise catholique, de l’affiche du film « Amen », de Costa-Gavras.
L’Eglise de France sous l’Occupation
Une nouvelle fois, une poignée d’agents du Vatican, réunis dans une conférence des évêques de France, est partie en guerre contre une affiche de film. La raison en vient de ce que deux symboles y sont, scandaleusement selon eux, associés : la croix chrétienne et la croix gammée. Le film en question traite de l’attitude du pape Pie XII envers le régime nazi et de ce que ses adversaires appellent, en particulier face à la Shoah, « le silence de l’Eglise catholique » à cette époque.
Au risque de décevoir les anticléricaux viscéraux, les insatiables bouffeurs de curés qui se seraient rangés à cet avis, l’honnêteté commande de reconnaître que nos évêques, comme on va pouvoir en juger, surent parfois rompre ce silence qu’on les accuse injustement d’avoir observé.
Le 18 mai 1940, au lendemain de la débâcle de l’armée française, est instauré dans le pays le régime collaborationniste du maréchal et très catholique Philippe Pétain. Mgr Delay, évêque de Marseille, ne parvient pas à garder ses sentiments pour lui : « Dieu, par votre intercession, monsieur le maréchal, travaille à sauver la France », lui dit-il lors de sa tournée triomphale de l’automne 1940. Il ajoute : « Voici que la voix d’un père et d’un chef s’est fait entendre. La France s’est dressée, dégagée du suaire de mensonge et de paresse qui cachait son vrai visage. » Mgr Dubois de La Ville Rabel, archevêque d’Aix, ne peut se retenir lui non plus : « Nous devons tous nous serrer sans hésitation autour de l’illustre maréchal. Reconnaître en principe et en acte le seul gouvernement légal de la France, c’est faire acte de bon Français. Ce serait un véritable crime, dans les circonstances actuelles, d’agir autrement, ou même de réserver son adhésion. » Mgr Lausanier, directeur du séminaire des Carmes, fera savoir, le 4 février 1942, que « les Français doivent obéir à Pétain, non à de Gaulle ».
Bien sûr, on pourrait penser qu’il s’agit là de folles initiatives individuelles et non de la position officielle de l’Eglise de France. Aucun de ces pétainistes enthousiastes ne sera pourtant invité par la haute hiérarchie catholique à se montrer plus modéré dans ses convictions. Au contraire. Elle fera d’ailleurs elle-même connaître sa position à l’issue de deux réunions des cardinaux et évêques, le 24 juillet 1941 pour la zone occupée et le 5 septembre pour la zone dite libre : « Nous vénérons le chef de l’Etat, et nous demandons instamment que se réalise, autour de lui, l’union de tous les Français. Nous encourageons nos fidèles à se placer à ses côtés dans l’œuvre de redressement qu’il a entreprise sur les trois terrains de la Famille, du Travail et de la Patrie, en vue de réaliser une France forte, unie, cohérente. Pour ce grand œuvre, nous leur demandons d’unir leurs efforts à ceux de leurs concitoyens.» Qui a parlé du silence de l’Eglise ?…
Cette déclaration publique, il faut le signaler, parut excessivement compromettante à certains catholiques de la région Nord. Le cardinal Liénart, archevêque de Lille, les rappela bien vite – et sèchement – à l’ordre, suivi du cardinal Gerlier. Si, par le passé, les divergences avaient pu « être possibles, fécondes, peut-être, aujourd’hui elles prendraient figure de crime », avait affirmé ce dernier dès le 15 janvier 1941. Ce régime de Vichy que l’Eglise catholique a donc tant aimé et épaulé – « Travail, Famille, Patrie sont inclus rigoureusement, et en leur conception la plus élevée, dans le mot « religion catholique », est-il écrit dans La Croix du 13 décembre 1942 – va, on le sait, collaborer allégrement avec l’occupant nazi. « Contre les puissances démoniaques, l’Archange Gabriel brandit son épée vengeresse, brillante et invisible. Avec lui sont unis et marchent les peuples chrétiens et civilisés qui défendent leur patrie, leur avenir aux côtés des armées allemandes », écrit le cardinal Baudrillard, le 3 décembre 1941, dans La Croix, publication qui, par ailleurs, paraîtra sans problème durant toute cette période. Dès le 27 novembre 1940, les amateurs de ce journal avaient d’ailleurs été prévenus : « Nos lecteurs savent que nous ne répugnons pas, au contraire, à l’idée de collaboration, en quelle faveur nous la tenons, ainsi que la façon dont nous la concevons : conformément aux exigences de notre foi, la politique de collaboration s’impose. » En matière de silence, on a fait plus discret…
Le 17 février 1943, le régime de Vichy instaure le service du travail obligatoire, l’un des volets de cette collaboration active. Là encore, l’Eglise a son avis sur la question, exprimé par l’évêque Martin, du Puy, qui déclare, le 26 mars : « Le devoir des travailleurs est de partir courageusement. » Une certaine inquiétude se fait toutefois sentir, exposée par un porte-parole angoissé du monde catholique, le père Dillard, un jésuite : « Si de nombreux chrétiens ne se rendent pas en Allemagne, il se constituera là-bas une masse prolétarienne athée, plus ou moins encadrée clandestinement par les communistes, qui, après la victoire de l’Armée rouge, refluera sur l’Europe occidentale pour y être le fer de lance de la révolution bolchevique. » Autre outil efficace de la collaboration, la sinistre Milice, créée au début de l’année 1943. On peut lire dans La Croix du 1er février : « La France a beaucoup à attendre de la création de la Milice qui sera l’armature de l’Etat nouveau, et l’on précise en particulier que son rôle, s’il doit être la défense de la Révolution nationale contre ses adversaires, et notamment contre le bolchevisme, sera en même temps profondément social. » Beaucoup de choses furent alors dites et écrites sur cette fameuse Milice, mais il est à noter que seule l’Eglise, rompant encore une fois son prétendu silence, a vu en elle un aspect social…
Le 3 octobre 1940 est promulgué le statut des Juifs. On connaît l’amour débordant que les catholiques portent depuis toujours à cette catégorie d’individus. Il leur fut difficile, à cette occasion, de ne pas le réaffirmer haut et fort. En octobre 1941, le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, déclare : « Personne ne reconnaît mieux que moi le mal que les Juifs ont fait à la France. » L’évêque Caillot, de Grenoble, s’en prend dans une homélie « à cette autre puissance non moins néfaste des métèques, dont les Juifs offrent le spécimen le plus marqué ». Mgr Delay, au lendemain de la conférence de Wannsee qui vient de décréter la « solution finale », déclare publiquement : « Nous n’ignorons pas que la question juive pose de difficiles problèmes nationaux et internationaux. Nous reconnaissons bien que notre pays a le droit de prendre toutes mesures utiles pour se défendre contre ceux qui, en ces dernières années surtout, lui ont fait tant de mal. » Ah ! ces fameuses « mesures utiles »…
Les 16 et 17 juillet 1942 a lieu la rafle du Vel’ d’Hiv. Au même moment se tient à Paris l’assemblée annuelle des cardinaux et évêques. Poussée par l’opinion, tout de même un peu émue, elle adoptera un texte, qu’elle refusera de rendre public, remis à son ami Pétain. Le nonce apostolique lui-même, Valerio Valeri, qui en prend connaissance, le qualifiera de « protestation platonique ». Un ange passe… Peut-être, en effet, peut-on parler là du silence de l’Eglise…
En pleine répression antisémite, le cardinal Gerlier reçoit Xavier Vallat, commissaire général aux affaires juives – « Excellent ! excellent chrétien, Vallat ! », s’exclamera Gerlier –, pour évoquer le « problème ». L’entente fut parfaite, déportation et spoliation des Juifs n’entraînant aucun désaccord. Une divergence va pourtant séparer un instant les deux personnages. Elle portera sur la définition du Juif. Vallat le définissait par sa seule ascendance. Gerlier aurait voulu quant à lui qu’il soit tenu compte des croyances, souhaitant voir exclu des mesures répressives le Juif converti (au catholicisme, cela va de soi). C’est à des détails comme ceux-là qu’on reconnaît les belles âmes.
De son côté, Pétain, dans la crainte sans doute de ne pas bénéficier d’une bonne place au paradis, écrivait le 7 août 1941 à son ambassadeur au Vatican, Léon Bérard, pour connaître l’opinion du pape sur les mesures antijuives adoptées en France. Bérard répondit qu’après consultation le Vatican n’y voyait rien à redire. Le nonce Valerio Valeri, souhaitant confirmation, s’adressa alors au cardinal Maglioni, secrétaire d’Etat à la curie. Ce dernier, après entretien avec le cardinal Martini, futur Paul VI, confirma l’avis du pape.
Jusqu’au bout, l’Eglise, à travers les plus hauts représentants de sa hiérarchie, soutiendra le régime de Vichy. Le 26 août 1944, trois mois après le Débarquement et lendemain de la libération de Paris, Mgr Marmottin écrit : « Le catholique commet un péché, et qui peut être grave, s’il prend le parti des rebelles, de ceux qui refusent de reconnaître le chef de l’Etat » (le chef de l’Etat, faut-il le préciser, c’est encore Pétain). L’évêque de Clermont, à la même époque, déclare au cours d’une messe : « A l’heure actuelle, toute hésitation trahit nos morts. Si aujourd’hui, nous, Français, nous étions un seul peuple obéissant à son chef (le chef, faut-il encore le préciser, c’est toujours Pétain) au lieu de prendre des mots d’ordre intéressés, suspects et criminels de l’étranger, bien que vaincus tous les espoirs nous seraient permis. »
Comme on le voit, il est faux de prétendre que l’Eglise s’enferma dans un silence coupable durant cette triste époque. Coupable, assurément ; mais silencieuse, sûrement pas ! En 1944 encore, voici le point de vue que des catholiques faisaient circuler sur les événements du moment : « La guerre est survenue. Pourquoi ? Parce que, voulant se libérer du judaïsme, cancer international, l’Allemagne a pris contre ses juifs les mesures de protection que l’on connaît. Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants meurent par centaines en Europe, à cause des juifs. Où sont les victimes ici ? Les juifs cependant osent réclamer justice à grands éclats de diffusions radiophoniques. Le chrétien peut leur répondre : « Vous repasserez ; nous avons déjà donné. » Amen !